Méthode Marie Jaëll

transmission, technique…
Vincent
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Re: Méthode Marie Jaëll

Message par Vincent »

josiane a écrit : mardi 9 juil. 2019 17:20 Une collègue a suivi une formation pour la méthode Jacques Dalcroze qui s'appuie sur les gestes pour comprendre les rythmes.
Juste une petite précision. Il s'agit de la méthode Jaques-Dalcroze. C'est son patronyme et il n'y a pas de "c" comme dans le prénom. Son prénom est d'ailleurs Emile. (cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mil ... s-Dalcroze)

Il se trouve que des fenêtres de mon bureau, je vois l'Institut Jaques-Dalcroze en face (comme Gaston Lagaffe voyait Jules-de-chez-Smith-en-face). J'y mange aussi régulièrement, leur caféteria est non seulement très bonne, mais a une très belle mission sociale d'intégration.

(Désolé Noëlle, je suis encore dans le HS - enfin, pas complètement quand même. Promis, je me donne dix coups de fouet supplémentaires ce soir. :oops: )

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Claudia
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Re: Méthode Marie Jaëll

Message par Claudia »

Passant beaucoup de temps dans les trains en ce moment, j'en profite pour lire des textes de ou sur Marie Jaëll, que je trouve très intéressants! La question du doigté d'un accord ou même de la position de la main n'est qu'une pointe de l'iceberg...
Personnalité fascinante.

J'essayerai quand je serai un peu tranquille de résumer ce que je comprends de ce que je suis en train de lire (l'intelligence et le rythme dans le mouvement artistique), lecture lente mais très enrichissante.
En attendant, une métaphore, qui peut (ou pas) attirer l'esprit :
Citation Jaell.pdf
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JPS1827
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Re: Méthode Marie Jaëll

Message par JPS1827 »

Claudia a écrit : dimanche 14 juil. 2019 12:45 Passant beaucoup de temps dans les trains en ce moment, j'en profite pour lire des textes de ou sur Marie Jaëll, que je trouve très intéressants! La question du doigté d'un accord ou même de la position de la main n'est qu'une pointe de l'iceberg...
Personnalité fascinante.
Effectivement sa méthode est loin de se résumer à des prescriptions sur la position de la main ou le doigté des accords.

JPS1827
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Re: Méthode Marie Jaëll

Message par JPS1827 »

Un extrait du livre déjà assez ancien de Gerd Kaemper (1968 chez Leduc) sur les Techniques pianistiques :

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Le conscient et l'inconscient.
Les technologues avancés, qui viennent de nous démontrer l'inutilité des connaissances en anatomie ou sur la facture du piano à l'étude de l'art pianistique, vont plus loin et soutiennent qu'il est d'autres notions non seulement inutiles mais nettement nuisibles : celles qui viennent du désir de rendre conscientes ces parties du mouvement qui, de par leur nature, doivent rester inconscientes, les sensations de contrôle et les réflexes.
Si l'on tourne, pour donner un exemple pratique, la page d’un livre avec beaucoup de concentration on peut prendre conscience de nombreuses sensations au cours de cette action : le contact du papier la tension des tendons, le déplacement des muscles les uns contre les autres, le mouvement des articulations ou les contractions des muscles qui y participent. Mais n’oublions jamais que que toutes ces sensations restent normalement inconscientes. « Seuls restent constamment conscients le but du mouvement, sa raison, sa finalité. C'est donc peine perdue que de rendre artificiellement conscient ce qui est inconscient par nature ». Par ces mots, un physiologiste constate et explique « l'erreur » qu'ont commise trois écoles parmi les théoriciens modernes, qui par excès de zèle ont voulu approfondir la science au delà des limites naturelles que sont ses limites d'application pratique : celles de Marie Jaëll, d'Elisabeth Caland, de Blanche Selva ou de Matthay.

« L’exemple de Mme Jaëll nous montre, dit Steinhausen, avec tout le respect dû aux mérites de la grande artiste, à quel point on peut errer grâce à un système d'idées mal fondées ... Tout son système est basé sur une hyper-excitabilité maladive du sens tactile au bout des doigts ». Il n'est pas question de nier la réalité du sens tactile. Nous en avons besoin, c’est lui qui nous aide à contrôler et doser la pression des doigts mais c'est instinctivement que nous nous en servons — et mieux il fonctionne, et moins on s'en aperçoit. Il ne doit pas sortir des frontières de l'inconscient car « l'organisme humain, dit Ritschl, s'adapte avec une si grande facilité qu'il trouve son chemin presque inconsciemment, guidé par la seule volonté » d'arriver au but donné.

Tandis que Marie Jaëll concentrait son attention sur ses sensations tactiles, ce sont les sensations musculaires qu’Elisabeth Caland et Blanche Selva veulent rendre conscientes. « La condition principale de l’exécution d’un mouvement, c’est la conscience intense des muscles du dos et des bras » , dit Elisabeth Caland , qui ajoute : « il ne faut jamais perdre conscience de la sensation intense de ce que les bras sont portés par le dos ». Une autre fois elle soutient qu’« il faut suivre par la pensée le chemin de l’influx nerveux du cerveau jusqu’au bout des doigts ». Et le médecin Steinhausen se contente de ce commentaire : « Comme si c’était possible » !

Voici maintenant comment Blanche Selva s'exprime sur le problème : « La volonté impulsive doit être mise derrière le coude pour pousser, lancer le bras en avant ». Seulement, l'expérience quotidienne nous prouve abondamment ce que Schubert (Kurt !) avance en théorie : « Il est impossible d'arriver à lever le bras sur un ordre tel que « Contractez le delta ». Si par contre la volonté se concentre sur le but du mouvement le reste vient de soi-même ».

MMmes Jaëll Caland et Selva s'étaient contentées de mettre en alerte une partie normalement Inconsciente du système nerveux. D'autres se sont offert le luxe d'inventer de nouveaux sens. Matthay comprend par « Key sense » sens de la touche, les sensations qui accompagnent l'enfoncement de la touche de sa position normale vers le fond pendant l’attaque, ainsi que du fond vers la position initiale : « Il faut, dit-il, que vous ayez conscience du contact de la touche pendant que vous l’enfoncez, que vous la maintenez au fond, que vous relâchez la pression et qu’elle revient à sa position initiale ». C’est déjà tout, mais il exige sérieusement ce travail pour chaque note dans un passage normal ou même rapide.
Breithaupt a appris la leçon de ses prédécesseurs. Revenu de tant d'idées qu’il qualifie d’ « erreurs » dans la troisième édition de son livre, il n’exprime pas seulement sa propre conviction , mais aussi celle de tout son temps, quand il résume les débats sur les sensations qui accompagnent le jeu du piano. « Nous ne sentons pas le travail musculaire normal. Ce n’est que lorsqu’elle sont excessives que nous percevons les contractions et les tensions de nos muscles. ».

Méfions-nous d'une interprétation simpliste des ces mots, d'une distinction banale entre conscient et inconscient. Une technique totalement inconsciente n’existe pas — et aussi impossible est la prise de conscience de tous les mouvements et sensations. Les savants nous invitent à reconnaître l’importance des deux, à distinguer leurs domaines, à fonder notre travail sur la partie contrôlable et à faire confiance pour tout le reste à la perfection innée qui caractérise notre organisme.
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Ce passage montre qu'à la fin du XIX° et au début du XX° les débats étaient vifs, sans que personne ne puisse se prévaloir de preuves irréfutables de la validité de sa "méthode". Finalement toutes ces remarques paraissent très justes mais les critiques ne font que peu avancer les choses. On peut d'ailleurs remarquer que les théoriciennes "constructives" citées sont des femmes (même si leurs méthodes n'ont pas définitivement réglé le problème de la technique pianistique), et que les critiques employant le terme "erreurs" viennent d'hommes.

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Re: Méthode Marie Jaëll

Message par Summertime »

Oui , Jean-Pierre , l'antagonisme hommes/femmes saute immédiatement aux yeux !!
Déjà que ces sacrées bonnes femmes prétendaient composer !! qu'elles veuillent en plus approfondir et réformer la technique pianistique , faut pas déc... !! :houhou: :mrgreen:
(pardon pour la grossièreté , à l'époque on aurait dit "balivernes!!" ou encore "billevesées !!" :wink: )

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Re: Méthode Marie Jaëll

Message par josiane »

C’est Saint-saëns qui avait dit après avoir entendu une oeuvre de Mel bonis qu’il ne pensait pas qu’une femme puisse aussi bien écrire;
Je ne me souviens pas de la phrase exacte.

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Re: Méthode Marie Jaëll

Message par Claudia »

J'ai fini de lire le texte en question. Je n'ai pas tout compris, surtout dans la dernière partie consacrée aux mouvements contraires, c'est assez technique. J'ai été sensible à tout ce qui se déploie de sa pensée esthétique. Il y a dans sa théorie, d'après ce que j'ai compris, la recherche d'un rapport constant et actif entre des processus qu'on aurait tendance à croire complètement distincts, dans notre manière de percevoir, de ressentir et d'agir.
En effet si elle met beaucoup l'accent sur ce qui est tactile, c'est en tant que le monde tactile est une manière de voir, d'anticiper, d'agir (c'est en cela qu'elle considère qu'il est déterminé par le rythme, ce que j'ai trouvé très intéressant). ("Voir", dans le sens de Rimbaud, c'est presque de la voyance, c'est voir quelque chose qui est surréel). Il s'agit de laisser les sensations tactiles circuler librement et non pas de les enfermer dans une "position". Ses expériences très pointues cherchent à déterminer de quelle manière circulent ces sensations, et ce qui les bloque, en particulier s'agissant de la différence entre la main droite et la main gauche, leur symétrie qu'elle juge mal perçue lorsqu'on les pose sur le clavier; pour elle, la vraie symétrie serait d'avoir la main gauche qui joue sur un clavier touches vers le bas, tandis que la main droite joue sur un clavier normal, double inversion en fait. Ce qui m'a fait penser que cette double inversion du côté droit et gauche est quelque chose de très fréquent dans les mouvements chorégraphiques, dans l'esthétique de la représentation du corps humain, surtout orientale, bref c'est parlant pour moi.
Elle propose de petits exercices avec des billes, que j'ai faits, c'est amusant et instructif. On perçoit l'existence d'illusions tactiles!
Cela me parle pour plusieurs raisons, d'abord parce que depuis que j'ai mon Seiler j'ai l'impression d'apprendre à jouer du piano grâce à mon piano, c'est-à-dire que les sensations tactiles qu'il me procure me font avancer, écouter autrement, chercher autrement, ça a donné plus de vie à mon travail au piano.
La deuxième raison c'est cette notion de rythme comme quelque chose d'universel (la musique des sphères), le fait qu'il ne s'agit pas de compter (segmenter) mais d'être toujours en mouvement. Je me rappelle de ma fascination devant les fontaines, par exemple celle de la fondation Vuitton à Paris, en percevant un rythme à la fois aléatoire, libre, et harmonieux. Pour Jaëll, le mouvement artistique est l'expression et le contact permanent avec ce type d'émotion esthétique. Elle considère aussi qu'il y a un rythme dans le regard, chose dont je suis convaincue (plusieurs passages de son texte m'ont fait penser à Kandinsky, par exemple).
Et puis j'ai aussi pensé aux animaux, le mouvement animal, si parfaitement parfait.
Voilà, je n'ai pas le temps de développer davantage.

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