le mystère des tonalités

les pianautes au clavier
Galadrielle
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le mystère des tonalités

Message par Galadrielle »

... je reprends le boulot aujourd'hui; et comme après deux semaines de randos sportives, j'ai besoin d'un sas de décompression, j'ai pensé en profiter pour poser une question qui me taraude depuis quelques temps, et qui m'est revenue hier soir justement, alors que pour me changer les idées avant de dormir je lisais une fiction autour de l'histoire d'un jeune pianiste, et que celui-ci constate nonchalamment au détour d'une phrase que "cette sonate est écrite en sol majeur, une tonalité considérée comme presque vulgaire". Voilà que mon questionnement familier est revenu, plus entêtant que jamais : mais qu'est ce ça change donc, que je soit en sol majeur ou en do, ou en fa, ou en mi bémol (toujours majeur)?? A part que dans la partition il y a plus ou moins de dièses ou de bémols et que c'est plus ou moins chiant à déchiffrer.
En effet, moi qui ai l'oreille relative, j'entends tous les modes majeurs de la même façon, puisque la gamme est construite suivant la même structure (écart entre deux notes successives équivalent). Et j'entends de la même façon toutes les tonalités mineures, itou.
Quand j'écoute un morceau, s'il est en majeur, je l'entends en do majeur; s'il est en mineur, je l'entends en la mineur (même si, je sais bien, ce n'est en fait pas le cas).
Donc je me demande : est-ce que pour les gens qui ont l'oreille absolue, il y a une réelle différence entre, mettons, do majeur, et si majeur? est-ce qu'en écoutant un morceau ils se disent : "Ah voilà je reconnais bien là mi bémol mineur et c'est tellement plus émouvant que mi mineur"? (ou le contraire...!!!)
C'est peut-être une question naïve, mais voilà longtemps que je me la pose; ma prof est en vacances, je n'ai personne à qui demander et je n'ai pas envie de chercher sur Internet; j'ai perdu l'habitude d'utiliser mon ordi en deux semaines de montagne :-)
Et puis je préfère lire des réponses de personnes que je connais, j'ai davantage confiance!
Merci d'avance pour vos lumières!

catherine
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Re: le mystère des tonalités

Message par catherine »

Je ne sais pas te répondre car j'ai aussi une oreille relative. Cependant il me semble discerner parfois des différences entre les tonalités. Mais je reste incapable de dire si c'est une vraie sensation, ou si, peut-être c'est le nom qui me plait (par exemple, j'aime beaucoup la mineur et ré mineur, il me semble qu'en l'écrivant ainsi je peux entendre les différences que j'y trouve (la mineur serait "pur et chantant" et ré mineur serait "nostalgique et légèrement plus sombre") mais je ne sais pas si je le construis.... il faudrait même aller chercher si le nom des tonalités n'est pas par lui-même quelque chose qui influence la sensation...

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Hémiole
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Re: le mystère des tonalités

Message par Hémiole »

Pas d'oreille absolue pour moi non plus, donc bien incapable de distinguer entre do maj et fa maj. Alors je pense que dans ce cas il faut se faire à l'idée qu'on entend la musique comme on verrait des images en noir et blanc. Alors que celles et ceux qui ont l'oreille absolue entendent la musique comme ils verraient des images en couleur, ce qui entraîne d'autres manières d'en parler.
"Les arts sont le plus sûr moyen de se dérober au monde ; ils sont aussi le plus sûr moyen de s'unir avec lui."
Franz Liszt

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Claudia
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Re: le mystère des tonalités

Message par Claudia »

Je crois qu'il y a une question historique à ne pas négliger. Nous écoutons de la musique jouée sur des instruments accordés à tempérament égal, de sorte qu'il n'y a pas de différence entre les intervalles des tonalités, alors qu'autrefois la musique était composée pour des instruments à tempérament inégal de sorte qu'il y avait bien une différence "matérielle" entre les tonalités, la distance séparant un intervalle donné dans une tonalité n'étant pas rigoureusement la même que dans une autre tonalité.
Je pense que c'est ce qui a donné la base à la coloration particulière des tonalités, d'où ont été théorisés leurs caractères respectifs; c'est ce qui a assis une tradition sonore, dont il ne nous reste que l'écriture, pas la sensation auditive exacte, mais ce caractère reste expressif pour nous malgré tout puisqu'il domine chaque pièce dans son énergie propre et que l'interprète le restitue comme il peut.

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Marie-France
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Re: le mystère des tonalités

Message par Marie-France »

C'est très juste.
Il faut rajouter à cela, le registre des instruments, la tessiture et l'ambitus des voix.
Et puis mathématiquement ce sont tout de même des fréquences qui peuvent être perçues différemment par les uns et les autres.
Les compositeurs ont leur propre perception des tonalités.
Voici un fichier que j'ai sur mon ordinateur. Cependant ce n'est pas très représentatif, mais c'est pour illustrer :
Carateristiques et Energie des Tonalités

MA Charpentier (1636-1704) Règles de composition, Paris 1690

Johann Mattheson (1681-1764) Das Neu-eröffnete Orchestre, Hamburg, 1713

Chr. Fr. D. Schubart (1739-1791), Ideen zu einer Astehtik der Tonkunst, Wien, 1806

DO Majeur
MAC Gai et guerrier
JM Caractère insolent. Réjouissances On donne libre cours à sa joie.
CFDS Parfaitement pur. Innocence, naïveté,. Eventuellement charmant ou tendre langage d'enfants.

do mineur
MAC Obscur et triste MA Charpentier (1636-1704) Règles de composition, Paris 1690

JM Surtout agréable, charmant, mais aussi triste, désolée; Porte facilement à la somnolence. Deuil ou sensation caressante.
Johann Mattheson (1681-1764) Das Neu-eröffnete Orchestre, Hamburg, 1713


CFDS Déclaration d'amour en en même temps plainte de l'amour malheureux.
Chr. Fr. D. Schubart (1739-1791), Ideen zu einer Astehtik der Tonkunst, Wien, 1806


do# mineur
MAC -
JM -
CFDS Plainte de pénitent. Conversation intime avec Dieu.

RE BEMOL Majeur
MAC -
JM -
CFDS Louche, dégénérant en chagrins et plaisirs; Pleurnichant.

RE Majeur
MAC Joyeux et très guerrier
JM Piquant, brillant, vif , opiniâtre, obstiné, bruyant, amusant, guerrier, stimulant; Eventuellement délicat. Trompettes et timbales.
CFDS Ton des triomphes, des alleluias, des cris de guerre et de joie de la victoire.

ré mineur
MAC Grave et dévot
JM Dévot, calme, grand agréable, content. Eventuellement divertissant, non pas sautillant mais fluide. Tonalité des choses de l'église et dans la vie commune, de la tranquillité de l'âme
CFDS Caractère de femme sombre couvant le spleen et des idees noires

MI BEMOL Majeur
MAC Cruel et dur.
JM Très pathétique. jamais grave ou plaintif ou exubérant.
CFDS Ton de la dévotion, de la conversation intime avec Dieu Expression de la Trinité avec ses 3 bemols.

mi bémol mineur
MAC horrible, affreux
JM -
CFDS Sensation d'anxiété, de troubles de l'âme, de désespoir

MI Majeur
MAC Querelleux et criard
JM Tristesse désespérée et mortelle, amour désespéré. Séparation fatale du corps et de l'âme. Tranchant, pressant.
CFDS Allégresse bruyante. joie souriante mais sans jouissance complète.

mi mineur
MAC Effemmé, amoureux et plaintif
JM Pensée profonde. Trouble et tristesse, mais de telle manière qu'on espère la consolation: quelque chose d'allègre, mais non pas gai.
CFDS Déclaration d'amour d'une femme naïve, innocente. Plainte sans murmures accompagnée de peu de larmes.

FA Majeur
MAC Furieux et emporté.
JM Magnanimité, fermeté, persévérance, amour, vertu, facilité. ON ne peut mieux décrire la sagesse, la gentillesse de cette tonalité qu'en la comparant à un homme beau, qui réussit tout ce qu'il entreprend aussi vite qu'il veut, et qui à bonne grâce, wie die Franzosen sagen
CFDS Complaisance et repos.

fa mineur
MAC obscur et plaintif
JM Herzens-Angst (peur du coeur), résignée et modérée mais aussi profonde et lourde. Doute. Produit une mélancolie noire et désespérée et plonge les auditeurs dans le grisaille, et leur donne le frisson.
CFDS Mélancolie profonde, langueur de la tombe.

fa# mineur
MAC -
JM -
CFDS Triomphe dans l'adversité. on respire librement sur le sommet de la colline.

SOL Majeur
MAC Doucement, joyeux.
JM Beaucoup d'insinuation, de bagout, du brillant. Convient aussi bien aux choses sérieuses qu'aux gaies.
CFDS Champêtre, idyllique. . Reconnaissance affectueuse pour l'amitié sincère et amour fidèle.





sol mineur
MAC Sérieux et magnifique.
JM C'est presque le plus beau de tous les tons: il mêle au sérieux du précédent une tendresse alerte mais procure aussi grâce et charme. Choses tendres ou ravigorantes, plaintes modérées ou joie tempérée. Sol mineur est extrêmement flexible.
CFDS Mécontentement, malaise. S'agacer pour un projet avorté, ronger son frein de mauvaise humeur.

LA Bémol Majeur
MAC -
JM -
CFDS Ton du fossoyeur, mort, décomposition, jugement, éternité.

Sol # mineur
MAC -
JM -
CFDS Morose, grognon, coeur oppressée jusqu'à l'étouffement.

Morose, grognon, coeur oppressée jusqu'à l'étouffement

LA Majeur
MAC Joyeux et champêtre
JM Ce ton doit saisir? Il brille immédiatement, et plus pour les passions plaintives et tristes que pour le divertissement.
CFDS Ce ton contient des déclarations d'amour innocent, contentement de sa condition, espoir; Il convient particulièrement au violon, revoir l'être aimé, gaité juvénile, confiance en Dieu.

la mineur
MAC tendre et plaintif
JM Allure fastueuse et grave. Mais aussi dirigé vers la flatterie. par nature, bien modéré, un peu plaintif, décent (respectable), tranquille, invitant même au sommeil. Peut être employé pour tous les mouvements de l'âme. Il est modéré et doux pour le public.
CFDS Nature de femme dévote et douceur de caractère.

SI bémol Majeur
MAC Magnifique et joyeux.
JM Divertissant et fastueux. Et aussi modeste. Peut passer à la fois pour magnifique et mignon. Ad ardua animam elevat.
CFDS Amour enjoué, bonne conscience, espoir, regards vers un monde meilleur.

Si bémol mineur
MAC Obscur et terrible
JM -
CFDS Un original bourru qui prend rarement une mine complaisante; se moque de Dieu et du monde. Prépare au suicide.

SI Majeur
MAC Dur et plaintif
JM Caractère contrariant, dur et désagréable, et en plus, quelque chose de désespéré. Il est peu employé.
CFDS Très coloré, passions farouches, colère, fureur, jalousie, délire, désespoir.

si mineur
MAC Solitaire et mélancolique
JM Bizarre, maussade et mélancolique; c'est pourquoi il apparaît si rarement. Et c'est peut-être aussi pourquoi les Anciens l'avaient banni de leurs couvents.
CFDS Patience, attente tranquille de son sort et de la résignation à la volonté de Dieux. Sa plainte est si douce qu'elle n'éclate jamais en murmures ou en vagissements
outrageants.

Il est intéressant de noter quelles sont les tonalités courantes communes aux 3 auteurs, et surtout de noter quelles tonalités existent pour un auteur en non pas pour un autre. Ceci est évidemment lié à la conception des tempéraments.

En 1772, Rameau donnera lui aussi une caractérisation des tonalités moins détaillée que celle de Charpentier:

La mode majeur pris dans l'octaves des notes de
UT, Ré ou LA convient aux chants d'allégresse et de reconnaissance;
Ra ou Si Bémol convient aux tempêtes, aux furies et aux autres sujets de cette espèce
Sol ou Mi convient également aux chants tendres et gais
Ré, La ou Mi convient encore au grand et au magnifique.

Le mode mineur pris dans l'octave des notes:
Ré, Sol, Si et Mi convient à la douceur et à la tendresse.
Ut et Fa convient à la tendresse et aux plaintes.
Fa ou Si bémol convient aux chants lugubres.

Traité de l'Harmonie, Paris, 1722.

Partisan du tempérament égal à la fin de sa vie, il reniera ces distinctions en prouvant qu'il n'y a que deux modes: le majeur et le mineur.

Vincent
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Re: le mystère des tonalités

Message par Vincent »

C'est très intéressant ton récapitulatif, Marie-France. (Et d'ailleurs, merci pour la grande peine que tu as prise pour le saisir sur ton clavier !)
Mais finalement, il renforce ce que dit Galadrielle, et que je ne suis pas loin de penser : quelle différence au fond, quand on n'a pas l'oreille absolue, en une gamme majeure (ou mineure) X et une gamme majeure (ou mineure) Y , l'une n'étant finalement que la transposition de l'autre ? (Compte bien tenu de ce que dit Claudia sur les tempéraments utilisés aujourd'hui).

Parce que si j'en juge par les perceptions des uns ou des autres, il n'y a souvent aucune cohérence (il y en tout de même quelques-unes, mais pas nombreuses) : l'un voit le mi bémol maj comme "cruel et dur", là où l'autre le voit "pathétique" et le troisième "empreint de dévotion". Mi majeur : "querelleur et criard", contre "tristesse désespérée" ou "allégresse bruyante ou joie souriante". Etc.

Je me dis en plus, pensant aux instruments transpositeurs - pour lesquels j'ai eu il n'y a pas longtemps une explication claire (merci Pierre-Antoine :wink: ) mais que j'ai hélas déjà oubliée :oops: - qu'on a 2 gammes identiques, donc qui expriment supposément la même émotion, la même expression puisqu'elles cohabitent dans la même œuvre, mais dans des tonalités différentes (un si au saxo correspondant à un sol au piano - je prends cet exemple au hasard, hein, je ne suis pas sûr que ce soit le bon exemple, mais c'est illustrer mon propos). Ce qui tendrait à gommer les différences théoriques dans l'esprit porté par ces 2 gammes.

Je ne sais pas si je suis clair. Ou peut-être j'ai tout rien compris du tout dans ces histoires d’instruments transpositeurs et je dis des grosses âneries (mais où est donc Ornicar, l’émoticône aux grandes oreilles ?). :tape:

Reste que la question de Galadrielle me questionne tout autant qu'elle et que les réponses loin d'être convergentes de Charpentier, Mattheson et Schubart ne font que renforcer ma perplexité.

J'aime bien l'image proposée par Marie-Hélène : les uns - à l'oreille un peu moins perfectionnée que les autres - ne voient que le noir et blanc là où les autres perçoivent les couleurs. Ne parlons pas des synesthètes...
Modifié en dernier par Vincent le lundi 5 août 2019 22:06, modifié 1 fois.

Line-Marie
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Re: le mystère des tonalités

Message par Line-Marie »

Marie-France, c'est le document que nous a donné la pianofortiste Marcia Hadjimarkos ?

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Marie-France
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Re: le mystère des tonalités

Message par Marie-France »

Oui je crois. Je vérifierai demain. Je ne suis pas sur mon ordi.

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Marie-France
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Re: le mystère des tonalités

Message par Marie-France »

Moi non plus je n'ai pas de réponse si ce n'est que pour moi qui ai l'oreille absolue, il m'est impossible de dire do ré mi ...si j'entends ré mi fa. Qui plus est, c'est de toute façon plus haut ou plus bas. On ne peut pas tricher avec les fréquences.

Galadrielle
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Re: le mystère des tonalités

Message par Galadrielle »

Je suis enchantée par ces réponses très éclairantes; merci beaucoup à tous!
Marie-France, je conçois abstraitement que l'on entende une différence en effet de fréquence si l'on a l'oreille absolue. Pour moi, qui transpose sans le faire exprès en do majeur ou en la mineur (mon oreille fait en sorte qu'il y ait le moins d'altérations possibles, c'est étrange...!), ces différences ne s'entendent pas. Peut-être y perd-on en effet une richesse, comme dit Marie-Hélène, on voit tout en noir et blanc... mince alors. Je pense que je resterai à jamais insensible à la richesse des univers évoqués par Marie-France (j'ai bien ri :-))

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