Une oeuvre, faut-elle être belle ?

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Lee
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Une oeuvre, faut-elle être belle ?

Message par Lee »

Il y a quelques semaines, je suis allée voir l'exposition d'Alice Neel au Centre de Pompidou, parce que l'exposition m'était conseillée par deux amies complètement différentes qui sont passionnées par l'art. L'exposition était intéressante, mais je me rendais compte lors de ma visite que je ne pouvais pas être enthousiaste pour son oeuvre parce que la raison d'être de ses tableaux n'étaient pas pour être belles, c'était clairement pas le but de son art, qui était pour choquer, détourner, revoir, critiquer, forcer voir la réalité crue... Neel est surtout connue pour avoir peint les portraits des femmes nues autrement que les conventions reçues d'idéaliser la femme nue. L'exposition mettait des citations de Neel à côté de ses tableaux, et il y avait même un ami qui s'est plaint qu'elle n'était jamais "romantique" - une remarque intéressante, peut-on dire que le Romanticisme cherche souvent à idéaliser son sujet et a des principes au contraire de Réalisme ?

Je me rendais compte alors que j'ai ce même regard limité / cette défaut en appréciation pour la musique et pour la musique de piano. Proko me laisse toujours de marbre, peut-être parce que clairement quelques (beaucoup ou toutes ?) oeuvres étaient écrites pour être toute sauf belles...

Suis-je seule dans cette appréciation manquée pour des pièces intentionnellement "pas belles" ? Si vous appréciez les morceaux "pas beaux" comment êtes-vous arrivés à cette appréciation, est-ce que c'était une procédure graduelle ou un goût acquis ? Quelques exemples seraient intéressants...

Merci !

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Claudia
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Re: Une oeuvre, faut-elle être belle ?

Message par Claudia »

Je pense qu'il peut y avoir une grande beauté dans le réalisme!
Je ne suis pas sûre qu'un artiste ait toujours pour idée de base de faire quelque chose de "beau". Plutôt quelque chose de "vrai" (pour lui ou elle). C'est-à-dire quelque chose qui rende sensible une émotion ou une recherche ou une idée qui est pour lui ou elle, vivante, vraie et nécessaire.

C'est pourquoi des œuvres "pas belles" peuvent provoquer une émotion intense qui est proprement esthétique puisqu'elle est l'effet de l'exposition de notre sensibilité à une forme particulière. L'esthétique se rapporte d'abord à la sensibilité, à la faculté de sentir.

Des formes exprimant l'humour, la violence, la parodie, l'ironie, l'angoisse, la révolte ne sont pas toujours agréables, leur beauté pour celui qui les regarde (ou les écoute, dans le cas de la musique) tient à une émotion qui est comme une sorte de reconnaissance, comme si on se disait, avec ravissement, ah oui c'est ça la vie (ravissement, parce que c'est émouvant de percevoir dans une œuvre, exposée avec une clarté dont on est soi-même incapable, quelque chose que l'on ressent intérieurement mais de manière beaucoup plus confuse; c'est cette rencontre et cette clarté soudaine qui sont fortes et qui peuvent remplir de gratitude et d'émotion).
"Ah oui c'est ça"... Mais la vie n'est pas toujours rose...

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Marie-France
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Re: Une oeuvre, faut-elle être belle ?

Message par Marie-France »

Lee a écrit : lundi 13 mars 2023 18:40 ... je ne pouvais pas être enthousiaste pour son oeuvre parce que la raison d'être de ses tableaux n'étaient pas pour être belles, c'était clairement pas le but de son art, qui était pour choquer, détourner, revoir, critiquer, forcer voir la réalité crue...
J’avoue que je partage moi aussi ton sentiment devant bien des œuvres contemporaines. Cela m’interpelle bien sûr, mais personnellement je recherche dans l’art la beauté (à mes yeux car évidemment c’est très subjectif) ou tout au moins un sens expressif qui me touche par des couleurs, des mouvements, des formes harmonieuses.
Lee a écrit : lundi 13 mars 2023 18:40 Je me rendais compte alors que j'ai ce même regard limité / cette défaut en appréciation pour la musique et pour la musique de piano.
Et je partage aussi ce sentiment envers certaines œuvres musicales. La première fois que j’ai joué de la musique « contemporaine », c’était une œuvre de Tibor Harsanyi, percutante et dissonante. C’est en la travaillant que j’ai appris à l’aimer. Comme quoi !

Ceci dit, les artistes contemporains actuels s’inscrivent dans un processus d’évolution de l’art, évolution qui va plus vite que nous mais qui nous éduque progressivement à cette nouveauté. Peut-être que dans quelques décennies ce que nous trouvons moche actuellement sera très apprécié.
Si nous pouvons écouter et aimer Debussy aujourd’hui c’est après une lente absorption/digestion de son langage musical. Certains n’ont toujours pas digéré d’ailleurs ! ....Comme moi qui ai toujours du mal avec la "Seconde école de Vienne"...


Claudia a écrit : mercredi 15 mars 2023 08:39 Je pense qu'il peut y avoir une grande beauté dans le réalisme!
Je ne suis pas sûre qu'un artiste ait toujours pour idée de base de faire quelque chose de "beau". Plutôt quelque chose de "vrai" (pour lui ou elle). C'est-à-dire quelque chose qui rende sensible une émotion ou une recherche ou une idée qui est pour lui ou elle, vivante, vraie et nécessaire.

C'est pourquoi des œuvres "pas belles" peuvent provoquer une émotion intense qui est proprement esthétique puisqu'elle est l'effet de l'exposition de notre sensibilité à une forme particulière. L'esthétique se rapporte d'abord à la sensibilité, à la faculté de sentir.

Des formes exprimant l'humour, la violence, la parodie, l'ironie, l'angoisse, la révolte ne sont pas toujours agréables, leur beauté pour celui qui les regarde (ou les écoute, dans le cas de la musique) tient à une émotion qui est comme une sorte de reconnaissance, comme si on se disait, avec ravissement, ah oui c'est ça la vie (ravissement, parce que c'est émouvant de percevoir dans une œuvre, exposée avec une clarté dont on est soi-même incapable, quelque chose que l'on ressent intérieurement mais de manière beaucoup plus confuse; c'est cette rencontre et cette clarté soudaine qui sont fortes et qui peuvent remplir de gratitude et d'émotion).
"Ah oui c'est ça"... Mais la vie n'est pas toujours rose...
Je suis d'accord pour dire que l'art est émotion, mais il y a des émotions plus ou moins confortables.
La question est peut-être de se demander ce que chacun de nous attend de l'art.

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Lee
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Re: Une oeuvre, faut-elle être belle ?

Message par Lee »

Claudia a écrit : mercredi 15 mars 2023 08:39 Je pense qu'il peut y avoir une grande beauté dans le réalisme!
C'est vrai, je pensais toute de suite au film Le Voleur de bicyclette quand j'ai lu cette phrase...
Claudia a écrit : mercredi 15 mars 2023 08:39 Je ne suis pas sûre qu'un artiste ait toujours pour idée de base de faire quelque chose de "beau". Plutôt quelque chose de "vrai" (pour lui ou elle). C'est-à-dire quelque chose qui rende sensible une émotion ou une recherche ou une idée qui est pour lui ou elle, vivante, vraie et nécessaire.

Hm, je ne suis pas sûre non plus, peut-être que cela dépend de l'artiste. En cherchant un artiste qui semble à l'opposé de Neel (Renoir) je trouvais cette histoire (https://www.sourcedoptimisme.com/articl ... 03895.html) :
Lorsque Renoir se trouva confiné chez lui pendant les dix dernières années de sa vie, cause de ses problèmes de santé, Matisse allait lui rendre visite chaque jour. Renoir, que l’arthrite avait presque paralysé, s’acharnait à peindre malgré ses infirmités. Un jour que Matisse le regardait travailler dans son studio, luttant contre la douleur à chaque coup de pinceau, il ne put s’empêcher de lui demander « Auguste, pourquoi t’obstines-tu à peindre alors que tu souffres le martyr ? »
Renoir se borna à lui répondre :
« La douleur passe, la beauté reste. »
Et j'ai trouvé cette citation rigolote par lui : "L'inconvénient de l'Italie, c'est que c'est trop beau. Pourquoi peindre quand on a tant de plaisir à regarder ?"

Mais j'aimais bien (et je suis d'accord avec) ce que tu as écrit, que l'art nous touche par l'expression de l'émotion ou de l'idée qui resonne en nous, la mélancolie est une source fréquent...
Marie-France a écrit : mercredi 15 mars 2023 21:02 Si nous pouvons écouter et aimer Debussy aujourd’hui c’est après une lente absorption/digestion de son langage musical. Certains n’ont toujours pas digéré d’ailleurs ! ....Comme moi qui ai toujours du mal avec la "Seconde école de Vienne"...
Bizarre, je n'ai pas eu l'impression de temps nécessaire pour aimer Debussy, mais ceci s'applique bien à mon appréciation (quand ça arrive) pour Ravel !
Marie-France a écrit : mercredi 15 mars 2023 21:02 Je suis d'accord pour dire que l'art est émotion, mais il y a des émotions plus ou moins confortables.
La question est peut-être de se demander ce que chacun de nous attend de l'art.
C'est très intéressant que tu évoques la musique contemporaine et que tu sois d'accord que l'art est émotion, parce que plusieurs compositeurs ou compositrices contemporains ne me semblent pas vouloir évoquer l'émotion. Comme Rachmaninoff a dit : "Le nouveau type de musique semble créer non pas à partir du cœur mais de la tête. Ses compositeurs pensent plutôt qu'ils ne ressentent. Ils n'ont pas la capacité de faire exulter leurs œuvres - ils méditent, protestent, analysent, raisonnent, calculent et ruminent, mais ils n'exaltent pas."

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