Comme être nue

[Claudia]

Ben quand la prof m'a suggéré de me tourner vers le clavecin ce n'est pas moi qui l'ai imaginé, là ça venait de l'extérieur. Un jour je comprendrai mieux de quoi il s'agit.

C'est gentil Catherine, et je te rassure, ce n'est pas un jugement, je ne me dis pas que je joue mal ou je ne sais quoi. On parle d'une "sensation" de nudité, quelque chose qui frappe l'oreille de l'exécutant, qui le surprend, qui nourrit son inquiétude, sa recherche aussi, parfois son obsession; je ne crois pas que sans ces aiguillons de doute, d'insatisfaction, on pourrait aller chercher quelque chose; et si l'on cherche, c'est bien parce qu'on ne l'a pas, ce quelque chose, pendant un certain temps.

Par exemple je me rappelle avoir pris conscience un jour que mon legato n'était pas vraiment legato. Je n'avais pas encore le Seiler, je travaillais une Bagatelle de Beethoven. Je collais mes doigts au fond du clavier, je faisais mon petit transfert réglementaire d'une note à l'autre, mais ça n'allait pas, ce n'était pas ça. J'ai mis un temps très long à trouver. En cours je disais, avec le ton désespéré qui s'impose, "mon legato n'est pas legato", et mon prof semblait un peu perplexe que ça me choque tellement, donc il me donnait des conseils, il me montrait le geste, mais ça a encore pris du temps et un jour le legato était là. Pas tout le temps, pas sur toutes les combinaisons de doigtés, mais bon je n'ai plus un son complètement "nu" sur des notes conjointes legato.
Tu vois, c'est de cet ordre là.

[Lee]

Voilà le lien d'un enregistrement du Soler que je viens de faire.

Je ne suis pas très contente en écoutant, mais là il n'y a pas autant de coquilles que j'ai eu dimanche. Et j’accélère horriblement, ce genre de morceau aggrave la tendance.

[Hémiole]

Sympa Lee de nous mettre un enregistrement.
Et on profite du son de ton piano.
C'est très beau ainsi, et je n'ai pas remarqué de coquilles ne connaissant pas la partition. Peut-être des incertitudes rythmiques ? Et l'accélération en effet.
Bon ben métronome de nouveau courage
Avec toutes vos discussions sur le son dans le baroque (auxquelles je n'ai pas tout compris ), vous m'avez donné envie ce midi de jouer du Scarlatti et du Rameau... Que ces musiques font du bien

[Lee]

Merci Hémiole.
Je ne suis pas sûre que je vais continuer avec le Soler même si au début le but était de pouvoir le jouer plus rapidement. Je me rendais compte que finalement même sur mon piano il y a cette impression de nudité, le fait que les notes sont sans pédale et on entend chaque problème aussi clairement.

Je n'ai pas tout à fait compris les discussions non plus. Laure et Catherine sont d'accord sur "zéro gestes" ce qui m'intriguait parce que selon Larousse un geste est un mouvement du corps alors il faut bouger pour jouer du piano ! Mais en regardant quelques vidéos des personnes jouant sur le clavecin, je pense peut-être comprendre : on bouge très peu des bras, tout est très près de torse comme le clavier, donc c'est plutôt tout concentré dans les doigts et les mains, j'avais l'impression il y a moins de mouvements des poignets aussi...bon, je me laisse être corrigée.

[Claudia]

J'ai écouté avec grand plaisir et intérêt (j'adore Soler ) Bon évidemment je trouve le son très beau et pas du tout "nu", la fête est dans le rythme, les petits jeux avec les notes répétées, etc. Tes tierces sont belles et m'ont paru régulières, ce n'est pas facile.
Je trouve que ça pulse quand même pas mal du tout, Lee. Je crois qu'à ce stade j'aurais envie de le jouer un peu plus vite, pour voir, peut-être que ça donnerait une sorte de joie lumineuse en plus (elle y est déjà). Et je pense que plus tu iras vite moins ça te paraîtra nu, et plus tu pourras faire ressortir des choses et mettre plus de relief si tu en as envie.
Le passage difficile avec les doubles pointées, le triolet et le trille est mieux réussi à la fin de la deuxième partie que de la première. Sans doute parce que le ralentissement est moindre et se fait selon un rapport plus naturel, alors que la première fois je ne comprenais pas bien, ça ne semblait pas "ciselé" pour reprendre le joli mot de Laure.
Bravo et merci

[Line-Marie]

bravo bravo Lee, c'est vraiment très bien.
Bien sûr, tu connais très bien le texte, tu sais ce que tu veux entendre et tu entends toutes les petites choses qui ne te plaisent pas parce que dans ta tête tu as créé une sorte de microscope auditif pour ce morceau.
Moi je ne connais pas du tout ce morceau, dans ma tête il n'y a pas ce microscope auditif que toi tu possèdes pour ton morceau.
Alors quand je t'écoute j'entends un chant sautillant, j'entends une musique que j'aime écouter parce que ça avance, je suis le discours musical et cela me plaît vraiment.

Dans un an tu re écouteras ce morceau et tu te demanderas pourquoi tu étais si sévère avec toi même.
Continues ton travail avec cet excellent prof !

[Lee]

Merci Claudia et Line-Marie, c'était juste un exercice de partage du morceau dont je parlais, je trouvais que ça manquait plein de choses mais pour comprendre ce que je voulais dire dans ce fil, un enregistrement parle bien.

Pour ce que j'entends, Line-Marie c'est en fait l'enregistrement extraordinaire de Alicia de Rocca qui était mon référence.

Quel légèreté, rapidité, expression, et comment je suis loin loin loin ! Mais merci beaucoup pour tout ton encouragement bienveillant qui me touche au cœur.

Claudia, je n'avais pas pensé que la vitesse aiderait la sensation d'inconfort, mais bonne idée, pourquoi pas essayer sans engagement ? Cette partie difficile que tu as remarqué, combien de fois mon prof m'a repris pour refaire ! A tel point que je me suis dit que j'allais jamais pouvoir faire, il fallait que je l'enregistre en train de le jouer correctement ! Donc effectivement une grande faiblesse...

[Laure]

Oui c'est bien ça, Lee : un jeu beaucoup plus digital (sans aller forcément jusqu'à imiter la posture complète du claveciniste).
Désolée de ne pas avoir été plus claire.
C'est un conseil qui m'a été utile parce que mon son était moche, trop appuyé, précipité, mais ce n'est pas du tout ce que j'entends dans ton enregistrement qui est très musical, très entraînant

[Claudia]

Ces rythmes sont très difficiles. Mais c'est une beauté, en plus d'être une sorte de "signature" de cette musique; et la deuxième fois tu l 'as super bien réussi, dont tu sais le faire .

Quand j'ai travaillé une sonate de Soler il y a longtemps je m'arrachais aussi les cheveux avec le rythme.
Mais c'est là que j'ai appris à mieux travailler ce type de difficultés: j'essaye de créer une perception mentale claire de ce qu'est le rythme de ces mesures, avant de commencer à jouer, de sorte que le rythme vienne et s'installe dans ma tête avant les notes. Donc je bats la mesure avec les mains ou les pieds et chante les notes ou les dis, tatata taa-aa, chut titaa-taa-aaa titaa taa, tatata taa-aa.
Puis la même chose en ne jouant que la main gauche. Et ce n'est qu'une fois que ce rythme est bien ancré que je commence à jouer.

Parce que corriger un rythme incertain ou faux est plus difficile et donne beaucoup plus de travail; on se dit "plus vite ici, moins vite là", rajouter ici, enlever là, mais en fait ça revient à partir de quelque chose qui est faux, alors que c'est plus facile d'installer quelque chose de juste dès le début.

Je n'ai jamais réussi à vraiment bien corriger et durablement un rythme pointé que j'avais faux sur un prélude de Chostakovitch . J'ai appris la leçon.

[Lee]

Laure, pour ma part, c'était juste ma manque de culture musicale et le français implicite avec le mot "geste" qui m'embrouillaient, tu étais assez claire pour que Catherine et Claudia comprennent. Merci pour la clarification et l'écoute !

Parce que corriger un rythme incertain ou faux est plus difficile et donne beaucoup plus de travail

J'ai expliqué dans un cours en ligne à Fabio que je n'étais pas tout à fait prête pour jouer le Soler à cause de changement de doigtés d'il y a quelques semaines, il m'a dit que le changement de doigtés peut prendre deux ou trois fois le temps d'apprendre avec les bons doigtés d'emblée, ce rythme difficile c'était aussi grave...du coup je me rends compte que je dois probablement changer mes pratiques : il vaut mieux présenter un morceau à mon prof dans la première phase de travail avant que les mauvaises habitudes s'installent trop.