Maurizio Pollini (1942-2024)

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Line-Marie
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Re: Maurizio Pollini (1942-2024)

Message par Line-Marie »

vous me pardonnerez , je l'espère , de ne pas être d'accord avec vous ! J'ai écouté la première sonate de Boulez et j'ai beaucoup aimé , sans explications préalables. Mais il est vrai que j'écoute avec admiration et un plaisir infini la musique de Messiaen, Ligetti (déjà de grands classiques) et les pièces de Neuwirt comme celle ci

et d'autres compositeur ou compositrices.
Les 3 sonates de Boulez sont des chefs d’œuvres de la création contemporaine et si elles restent difficiles à "écouter" pour la plupart d'entre vous cela vient de votre environnement sonore qui reste identique depuis que vous êtes petit et vous avez tous plus de 60 ans (sauf lori...) .....
Pour la sonate n°2 , je préfère la version de Dimitri Vassélakis qui joue avec une clarté et une beauté de son rarement entendu.


Je suis d'accord avec cette phrase du sociologue Pierre-Michel Menger
« Fréquenter les œuvres nouvelles revient aussi à accepter de partager les risques : à celui que prend le créateur en quête d’originalité réussie doit répondre la prise de risque de l’auditeur incertain de la valeur de ce qu’il va entendre. Ce pacte demande à l’auditeur de suspendre son jugement et son éventuelle insatisfaction immédiate pour parier sur une possible satisfaction future : il aurait peu de chance d’être conclu si ce public ne se
recrutait pas avant tout parmi les artistes, les professionnels des milieux culturels, les enseignants, les chercheurs, les ingénieurs et les étudiants, et n’avait pas un haut degré de familiarité avec la culture et la pratique musicales »

Je cite ici la conclusion d'un travail de Makis Solomos musicologue , travail qui avait pour titre :
"La musique contemporaine est-elle déconnectée du public ?
L’enjeu n’est donc pas de quantifier le public de la musique contemporaine, de l’analyser
en termes de classes sociales, d’âge, etc. afin de démontrer son existence. Plutôt, il s’agit de
comprendre pourquoi il y a des individus – composant un public – qui aiment cette musique
malgré ses difficultés, malgré les résistances qu’elle offre à des degrés divers – je dis bien
résistances à des degrés divers car un Boulez est aussi exigeant à l’écoute qu’un Steve Reich
qui semble a priori plus « facile » du fait de ses accords consonants. En d’autres termes, on
devrait tenter d’analyser comment un certain public parvient à se connecter à la musique
contemporaine alors qu’il est sans cesse menacé d’en être déconnecté. Mais peut-être c’est ici
que réside la meilleure définition du public de la musique contemporaine : un public sur le
qui-vive et très actif, aimant le risque et les imprévus, à la recherche de contenus de vérités
mais également d’émotions véritables ; bref, un public que mériterait toute musique de
qualité…
"

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Chantal
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Re: Maurizio Pollini (1942-2024)

Message par Chantal »

Line-Marie, je ne te répondrai pas sur le fond, je pense que nos avis sont irréconciliables. D'autant que le fil était un fil-hommage à Maurizio Pollini, disparu très récemment, et pas un fil sur Boulez ou sur la musique contemporaine en général. S'il a dérivé sur la 2ème sonate de Boulez, c'est suite à une question de Vincent qui se demandait si Pollini l'avait enregistrée. Je lui ai donc répondu par l'affirmative, en lui proposant l'enregistrement fait par Pollini et je n'ai jamais dit que c'était la meilleure version, j'en serais bien incapable (et de toutes façons ce n'était pas le sujet du fil…).

Ceci dit, n'étant pas d'un naturel sectaire, je respecte tout à fait tes choix musicaux. Par contre, je te trouve particulièrement péremptoire et quelque peu méprisante quand tu écrit :
Line-Marie a écrit : vendredi 19 avr. 2024 06:15 … si elles restent difficiles à "écouter" pour la plupart d'entre vous cela vient de votre environnement sonore qui reste identique depuis que vous êtes petit et vous avez tous plus de 60 ans (sauf lori...) .....
Et permets-moi de ne pas être d'accord avec la phrase du sociologue que tu cites quand il écrit :
… "si ce public ne se recrutait pas avant tout parmi les artistes, les professionnels des milieux culturels, les enseignants, les chercheurs, les ingénieurs et les étudiants, et n’avait pas un haut degré de familiarité avec la culture et la pratique musicales"
Je suis un parfait contre-exemple, ayant été et enseignante et chercheur scientifique. Et il me semble bien que mes deux compagnons d'infortune (les plus de 60 ans :mrgreen2: ) sont aussi des contre-exemples, étant ou ayant été ingénieurs. Quant à ma familiarité avec la culture et la pratique musicales, je laisse à d'autres le soin d'en juger.

Vincent
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Re: Maurizio Pollini (1942-2024)

Message par Vincent »

Donc, en résumant, on n'aime pas Boulez :

1) selon toi, parce qu'on est conditionnés depuis notre enfance (et, implicitement, n'avons ni l'intelligence ni la lucidité pour le savoir) et parce qu'on est vieux (et donc intellectuellement sclérosés, peut-être ?). Que sais-tu de "l'environnement sonore" dans lequel j'ai vécu pour te permettre un jugement aussi péremptoire ?
2) selon Menger, parce qu'on est socialement ou intellectuellement pas au niveau, ou alors on n'est pas assez familier avec la musique, sa culture et sa pratique ;
3) selon Solomos, parce que nous sommes un public placide, peu actif, conventionnel et timoré, se contentant de platitudes, incapables "d'émotions véritables" (celles que nous avons - des fois que nous en aurions... - ne seraient que des leurres, des émotions "fakes", allez, osons le mot : nous sommes de vulgaires sentimentalistes). Et - en prime - indignes d'une "musique de qualité" !

Quelle condescendance ! Quel dédain ! Quelle suffisance ! Quel mépris !

J'accepte sans aucun problème que quelqu'un ne pense pas comme moi. J'ai même beaucoup de respect pour ceux qui m’expliquent avec élégance et conviction pourquoi il ou elle pense comme il ou elle le fait. (Comme Claudia, en l’occurrence, qui explique si bien pourquoi elle a aimé cette sonate.)

J'ai en revanche beaucoup de mal avec ceux qui cherchent à m'expliquer pourquoi je devrais aimer. Pire, qui théorisent mes insuffisances pour expliquer pourquoi j'en suis incapable. Et d'une façon générale avec tous ceux qui, pour s'élever, cherchent à rabaisser les autres.

On a tout dit sur Boulez.
Revenons à Pollini et à sa merveilleuse discographie - mais ailleurs que sur Boulez.

Edit : je vois que pendant que je rédigeais mon message, Chantal en a posté un à la teneur comparable.

Line-Marie
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Re: Maurizio Pollini (1942-2024)

Message par Line-Marie »

Je suis désolée de vous avoir blessés.
J'ai l'impression, peut-être à tort, que la musique un peu radicale peut nous atteindre si on a accès à ce type de musique depuis sa plus tendre enfance. Quand des enfants petits, en maternelle par exemple, ont la chance de voir des tableaux dans un musée contemporain, ils ont peu d'aprioris , de même quand ils entendent de la musique non tonale dans un environnement propice.
Nous vivons dans des sociétés où nous sommes éduqués depuis notre prime enfance et sans aucun doute avons nous emmagasiner inconsciemment des formes d'art et quand nous sommes confrontés à cet art ( musical, pictural ou autre) nous "aimons" la forme entendue ou vue parce que inscrite en nous.

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Midas
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Re: Maurizio Pollini (1942-2024)

Message par Midas »

Pour ma part, je ne suis pas d'accord avec Line-Marie, mais je ne me suis pas senti mis en cause. Je ne suis pas d'accord parce que je pense qu'on peut apprécier des musiques "surprenantes" à tout âge. J'en veux pour preuve que j'ai un temps détesté Ravel, mais qu'après avoir pris la peine d'écouter plusieurs fois pour m'en imprégner, j'ai tellement adoré qu'il fait partie des mes auteurs préférés (en même temps que quelques autres, mais après Bach et Mozart).

Maintenant, dans l'art contemporain (souvent surnommé "comptant-pour-rien"), il y a, à mon avis, beaucoup d'escroquerie et d'effet "Boronali", du nom du tableau peint avec la queue d'un âne il y a un siècle, et devant lequel il se trouve toujours des gens pour s'extasier de peur d'être catalogués "ignares". J'ai beau passer des dizaines de fois devant les colonnes de Buren, je me dis toujours que c'est de l'escroquerie pure d'une laideur sans nom, et que le jour où les snobs qui ont crié au génie pour ça auront disparu, on s'empressera de les raser.

Il est possible que pour Boulez, en me forçant un peu, je finisse par trouver un intérêt, ce qui est du reste le cas avec Messiaen (qui m'est un peu difficile d'accès). Mais comme ça, tout de suite, je n'en sens vraiment pas l'envie. Mais finalement, comme le dit Marie-France, je ne suis pas totalement indifférent non plus.

Laure
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Re: Maurizio Pollini (1942-2024)

Message par Laure »

Je ne suis pas sûre que le rejet de la musique atonale soit lié à des acquisitions qui seraient inconscientes. J’ai plutôt l’impression que la formation du goût se joue au contraire de manière très consciente (par exemple, je suis tout à fait capable de dire pourquoi j’aime ceci ou cela en musique), même si bien sûr la culture à laquelle on appartient nous met dans un bain particulier qui nous "formate" ; cependant, il nous reste encore les outils appris pour expliquer nos affinités musicales : le répertoire abordé/écouté, quelques règles de rythme, d’harmonie, etc. qui, même s’ils sont édictés dans une sorte de doxa musicale, nous permettent au moins de nous approprier nos choix dans un cadre donné. Nous réfléchissons tous à nos goûts ; évidemment que ceux-ci sont déterminés par notre culture ; cela ne fait pas de nous des enfants privés de libre-arbitre.

En revanche, je suis aussi convaincue que des enfants de maternelle n’auront absolument aucun a priori si on leur fait écouter Boulez, et je suis encore plus convaincue que leurs réactions seront super intéressantes pour un adulte et lui feront ouvrir ses chakras :smile:

Mais franchement, si j’arrivais en cours avec un extrait de Butor, de Robbe-Grillet ou que sais-je ou même de Ionesco pour le théâtre (Ionesco que pourtant j’adore au plus haut point) en leur disant « lisez et aimez, c’est un chef d’oeuvre de la littérature - mangez et buvez, c'est mon corps - », ce serait un échec. Parce que les élèves ont aussi des goûts et des idées, et c’est bien normal – l’école, la société leur fournissent justement les outils pour les analyser - sur ce qu’est la littérature. De l’art qui parle de l’art, c’est très auto-référentiel, il faut des connaissances pour comprendre ce discours en vase clos. Si je veux les convaincre, à moi de construire quelque chose pour les faire évoluer sur leur définition de la littérature.

Ce détour juste pour dire que : j’ai tenté une écoute active de la 2ème sonate de Boulez (avec pour seul a priori conscient que je ne vais rien comprendre), j’ai tenu 10 minutes puis je me suis lassée et me suis dit que je n’étais pas bac +12 musicologie (ni même bac -12 :mrgreen: ), que j’avais mieux à faire, et surtout que je ne ressentais rien.

J’imagine que Boulez, finalement, propose une autre définition de la musique ? En fait, cela reste du domaine de l’intuition, juste parce que je fais le lien avec d’autres formes d’art à la même époque. Avec quelques explications, je pourrais peut-être adhérer intellectuellement. Emotionnellement, je ne pense pas : j’aime qu’on m’accompagne, qu’on me partage une manière de dire et de comprendre le monde, qu’on mette des mots ou des notes sur ce que je ne saurais pas exprimer. Si en plus un sociologue m’explique que Boulez est une musique pour chercheurs, ingénieurs et autres happy few (la citation étant sortie de son contexte, je ne peux lire que ce qui est donné à lire), j’ai juste envie de dire : fort bien, restez entre vous ; ce qui arrangera tout le monde car si je comprends bien : si tout le monde aime Boulez, il n’y a plus d’intérêt à l’aimer.

Reste l’expérience un peu « primale » du son. A celle-là, je pourrais adhérer (mais elle resterait intellectuellement frustrante, parce que réduite à des sensations). Il faut juste un peu de disponibilité mentale, de conditions (en concert, où on est là pour écouter, c’est quand même mieux). Au quotidien, je ne suis personnellement pas très forte pour ça. Sur ce sujet, je suis tombée une fois sur une émission de France Culture avec une philosophe-musicologue qui expliquait son rapport à la musique et au son, c’était très intéressant (avec des extraits audio éprouvants pour les nerfs :mrgreen: ) mais je n’ai pas retrouvé le lien...

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Claudia
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Re: Maurizio Pollini (1942-2024)

Message par Claudia »

Laure a écrit : vendredi 19 avr. 2024 22:58 En revanche, je suis aussi convaincue que des enfants de maternelle n’auront absolument aucun a priori si on leur fait écouter Boulez, et je suis encore plus convaincue que leurs réactions seront super intéressantes pour un adulte et lui feront ouvrir ses chakras :smile:
J'aimerais bien voir ça, en effet!
Boulez, ou d'autres, très différents. des musiques d'ailleurs. des musiques anciennes. des instruments de toutes sortes! ne se limiter à rien!

C'est ce que j'envie et admire chez les tout petits, un paradis d'ouverture , paradis perdu par la suite, chassé par les catégories et les chronologies!
Line-Marie a raison, je pense, en plaidant pour ces rencontres précoces avec les arts y compris contemporains. Ce qui n'enlève rien à la faculté des adultes de rester "enfants" à certains égards, heureusement.

Cela dit, et ça va de pair, les tout petits ne feront jamais le calcul "économique" qui m'a laissée perplexe dans la première citation proposée par Line-Marie, car je pense que c'est justement parce qu'ils ne font pas de calcul qu'ils sont pleinement réceptifs (personne ne leur susurre à l'oreille "ceci est du Grand Art", ni ne les culpabilise de ne pas le comprendre) :
«accepter de partager les risques : à celui que prend le créateur en quête d’originalité réussie doit répondre la prise de risque de l’auditeur incertain de la valeur de ce qu’il va entendre. Ce pacte demande à l’auditeur de suspendre son jugement et son éventuelle insatisfaction immédiate pour parier sur une possible satisfaction future».
Ça me rappelle mon banquier! Non, je crois au don, au choc, à la surprise, à la chose qui touche ou pas immédiatement. On ne peut pas "placer" une émotion.
Par contre, on construit dans le temps une éducation, une culture générale, un apprentissage, ça bien sûr. Mais un public n'est pas un "apprenant", si la chose n'est pas donnée, intégralement, et prise comme telle, intégralement, c'est que ça ne marche pas. (et ne c'est pas grave)
En tout cas c'est mon avis.

Alain31
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Re: Maurizio Pollini (1942-2024)

Message par Alain31 »

Je n'ai pas non plus aimé le contenu de la citation de Pierre -Michel Menger. En même temps je n'ai pas été surpris, l'auteur étant représentant d'un courant de pensée, l'individualisme méthodologique, selon lequel les comportements humains résultent, pour l'essentiel, d'un calcul économique rationnel des individus en termes de coûts/avantages.. Cela ne laisse pas trop de place à tous les éléments sociaux et culturels qui interviennent dans le jugement de goût de chacun d'entre nous...
Pour en revenir à la sonate de Boulez, je me suis comme vous autres précipité pour l'écouter dans la version Pollini mise en ligne par Chantal. Je me doutais bien que je n'allais pas "aimer". Mais ce n'est pas ce que je cherchais. Je voyais cela comme une expérience sensorielle inhabituelle (y compris visuelle. Ah, cette incroyable partition !) et je n'ai pas été déçu, Mais, dans mon registre d'écoute musicale, je vois cela comme une exception. Ça ne me satisfait pas... Comment se fait il qu'un artiste comme Pollini dont j'ai toujours aimé les enregistrements du répertoire classique a porté un très grand intérêt, tout au long de sa vie, à la musique en train de se faire, y compris dans ses productions les plus déroutantes ? Et que nous, pauvres mortels biberonnés au répertoire standard, ayons tant de difficultés à le suivre sur ce chemin là ? Vous avez 2 h....

Laure
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Re: Maurizio Pollini (1942-2024)

Message par Laure »

Merci Alain pour l’éclairage sur ce sociologue, qui nous permet de situer son propos (c’est sûr qu’on voit poindre l’homo oeconomicus et sa "rationalité" à chaque fin de phrase :mrgreen: )

Je crois que je peux expliquer très rapidement, en moins de 2h ! pourquoi je ne suis pas Pollini sur ce répertoire mais ce ne seront que des explications très banales. Même si je crois au choc esthétique immédiat dont parle Claudia, pour moi ça ne fonctionne pas ici parce j’ai l’impression que l’émotion (en tout cas la mienne) est en lien étroit avec la mémoire : quand j’entends une note, j’ai déjà oublié celle qui précède, je ne repère aucune cellule rythmique qui se répéterait et qui pourrait engendrer un petit plaisir de la reconnaissance, chaque note, chaque silence sont finalement une surprise que je n’ai jamais le temps d’intégrer. Puisque l’émotion m’est impossible, je cherche la sensation ; mais là non plus ça ne fonctionne pas, je n’arrive jamais à être dans l’instant, mon esprit se projette toujours dans l’après (est-ce que je vais reconnaître quelque chose ? Est-ce qu’enfin quelque chose va m’accrocher ? Là c’était forte, va-t-il vouloir me surprendre avec un piano subito – à partir du moment où je me pose la question, c’est déjà raté…) Les notes, les silences ne sont plus qu’un matériau, même pas une musique désincarnée : une non-musique ? J’ai pensé à l’incroyable tirade de Lucky dans En attendant Godot (sauf que j’y vois encore plein de sens, à l’inverse de Boulez, ce qui fonctionne encore pour moi en littérature se dérobe complètement en musique).

Je trouve aussi la partition fascinante. Est-ce qu’il y a une dimension parodique ? Tous ces signes un peu fous qui s’étalent isolément sur la page, la précision maniaque et réfléchie des indications de jeu (si j’osais, je dirais que Pollini ne les respecte pas forcément, en tout cas dans ce que j’ai réussi à écouter :oops: )...

Mais malgré sa beauté formelle, la partition me confirme dans mon impression qu’on m’applique une méthode de déconstruction. Et je rejoins Lee sur ce point : si on déconstruit, il faut reconstruire derrière… Je ne dis pas qu’il n’y a rien de reconstruit, juste que ça m’échappe, parce que je n’y ai pas accès. Je suis toujours un peu frustrée de l’aporie habituelle des débats sur cette musique : d’un côté une grande partie des auditeurs dit "On ne comprend rien, ça ne veut rien dire, ça ne nous touche pas" (= au secours, aidez-nous un peu !), de l’autre les autorités savantes disent "C’est un chef d’oeuvre, faites un effort pour être un peu moins bêtes". Dans ces conditions, le don et la réception ne peuvent tenir que du miracle.

Dans ce sens, merci Claudia pour ton beau message qui décrit ton écoute de cette sonate : pour moi, c’était comme une porte entrouverte qui m’a permis de dépasser le soupçon réducteur du snobisme ou mon propre sentiment d’exclusion.

Vincent
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Re: Maurizio Pollini (1942-2024)

Message par Vincent »

Très intéressants, ces échanges. Et la question d'Alain m'interpelle au plus haut point. (Mais je n'en ai pas la réponse, ni le moindre début d'élément de réponse.)

Néanmoins...
Laure a écrit : dimanche 21 avr. 2024 10:22Je suis toujours un peu frustrée de l’aporie habituelle des débats sur cette musique : d’un côté une grande partie des auditeurs dit "On ne comprend rien, ça ne veut rien dire, ça ne nous touche pas" (= au secours, aidez-nous un peu !), de l’autre les autorités savantes disent "C’est un chef d’oeuvre, faites un effort pour être un peu moins bêtes".
Si tu vois ce débat comme une aporie, tu tombes forcément dans la frustration.

Je ne vois pas cela du tout ainsi. Il n'y a rien d'insoluble, puisqu'il n'y pas de problème - et donc pas solution à rechercher. D'un côté il y a ceux qui aiment, de l'autre ceux qui n'aiment pas. (Et peut-être au milieu quelques-uns que ça ne laisse pas indifférents.) Mais il n'y a rien qui obligerait à devoir les réconcilier ou à les faire converger. C'est un état de fait, c'est ainsi, point final. Je fais partie clairement de la 1ere catégorie dans ta typologie, mais je ne crie nullement "au secours, aidez-moi à comprendre !". Mon désamour de cette musique ne provoque pas d'états d'âme particuliers chez moi, je suis très à l'aise avec ça et n'ai nul besoin de chercher à comprendre.

D'où ma grande irritation quand on cherche à théoriser ma rétivité à Boulez (et à d'autres). Pourquoi tout vouloir expliquer, décortiquer, analyser ? Ne pouvons dire simplement j'aime/j'aime pas, accepter comme tels les avis divergents et n'encourir ni sermon ni tentatives de conversion - et réciproquement sans être soi-même tenté de se faire prosélyte de ses propres perceptions ?

C'est marrant, j'ai eu ce même genre de conversation récemment avec des amis à propos de l'expo Rothko (qui, hors sa période précoce, me laisse totalement de marbre et dont le tintouin qu'on fait à cette occasion me plonge dans des abîmes de perplexité).

C'est sans doute consubstantiel à l'art contemporain.

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