"Contre-intuitif"

[Claudia]

Bonjour,
Est-ce que vous avez déjà ressenti qu'un morceau est écrit de manière "contre-intuitive"? C'est-à-dire, par exemple, que vous faites souvent une erreur parce que vous "attendez" telle note ou tel accord plutôt que ceux qui sont écrits, ou bien que vous ne comprenez pas la "suite logique" d'un passage et avez l'impression que le compositeur joue à nous confondre? ou bien que les accents que vous mettez naturellement (temps forts/faibles) sonnent faux et qu'il faut en chercher d'autres?
Est-ce quelque chose qui fait partie de la composition, ou c'est juste mon ignorance qui fait que je m'étonne de choses qui en fait sont tout à fait courantes et fréquentes?

(je ne donne pas d'exemple exprès pour l'instant, je voudrais avoir votre perception générale).

[Marie-France]

Bonjour,
Est-ce que vous avez déjà ressenti qu'un morceau est écrit de manière "contre-intuitive"? C'est-à-dire, par exemple, que vous faites souvent une erreur parce que vous "attendez" telle note ou tel accord plutôt que ceux qui sont écrits, ou bien que vous ne comprenez pas la "suite logique" d'un passage et avez l'impression que le compositeur joue à nous confondre? ou bien que les accents que vous mettez naturellement (temps forts/faibles) sonnent faux et qu'il faut en chercher d'autres?

Je réponds oui partout. Nous acquérons des automatismes, des habitudes auditives et kinesthésiques d'enchainements sans en avoir conscience.
Je n'ai pas répertorié tous ces endroits mais je pense que cela survient lors de modulations inattendues et inhabituelles, que les doigts et les oreilles se refusent, comme s'il s'agissait d'une erreur d’écriture. Cela défie notre logique.
Par exemple déchiffrer Gaubert, c'est extrêmement perturbant. Il est le champion des harmonies totalement hors les clous. Ni les doigts ni les oreilles n'entendent ce qui arrive. J'ai dû analyser plus d'une fois certains passages qui me semblaient erronés. Il double parfois les sensibles, superpose en anticipation des tonalités éloignées (bonjour les dissonances), nous amène dans des territoires totalement inattendus. Le pire c'est qu'à l’écoute, cela semble mélodieux et fluide.
Mais Gaubert, c'est le début du XXème siècle. C'est la même chose chez Lili Boulanger (même période).

[Claudia]

C'est-à-dire que la première fois ça ne te semblait pas vraiment beau? C'est fou ça.
Très intéressant, merci Marie-France. Ça me rassure un peu


J'ai cette sensation avec le petit Prokofiev que je suis en train de travailler (18e Vision fugitive), et ça concerne juste des intervalles.
Pour les temps faibles et forts, c'est dans l'Allemande de la 2e suite française de Bach, il y a des distributions de tensions qui m'ont semblé contre-intuitives, en le travaillant j'y ai un peu réfléchi, j'essaye de "tendre vers le temps fort" et pas seulement d'accentuer le temps fort. Ça change tout.

[Chantal]

Est-ce que vous avez déjà ressenti qu'un morceau est écrit de manière "contre-intuitive"?

Oh oui ! Je sors d'une galère sans nom avec l'étude op 299 n° 16 de Czerny : modulations fréquentes, doigtés pas intuitifs du tout, et en plus elle fait 4 pages (alors qu'en général, dans l'école de la vélocité op 299, les études font 2 pages). Moi qui n'ai aucune difficulté à apprendre par cœur, j'ai cru que je n'arriverai jamais à la mémoriser

[Midas]

En fait, de tout temps, tout compositeur qui n'écrivait pas de manière académique était contre-intuitif pour ses contemporains... qui critiquaient généralement sa méconnaissance de l'harmonie. Des compositeurs classiques autodidactes comme Berlioz ou Moussorgski étaient massacrés par la critique pour ça. Le deuxième en particulier était "corrigé" dans les versions orchestrales de ses "Tableaux d'une Exposition", jusqu'à ce que certains fassent remarquer que ça enlevait toute l'âpreté de sa musique. Pour moi, même la version de Ravel (de loin la plus réputée) ne lui rend pas justice de ce point de vue. En fait, c'est surtout dans le choix d'une orchestration -toujours riche et chatoyante chez Ravel- que je ne retrouve pas la dureté de la vie chez les moujiks. [Même si ceux qui sont mariés à des infirmières forment un couple délicat et sensible, car c'est bien connu: "le moujik adoucit la nurse". C'est bon je sors. ]

[Claudia]

[Lee]

Avertissement : je vais répondre en affichant clairement toute mon ignorance...pour les âmes sensibles, sauter à la prochain message.

J'ai cette impression avec tout ce que je joue du classique, et j'avais pensé que c'est ce qui fait la différence entre les génies et les lambdas...j'ai tort? Pour vous, y a-t-il au contraire des "grandes œuvres" pour lesquelles tout dans la partition semble évident et naturel?

[catherine]

Je ne sais pas trop comment répondre. J'aime les surprises musicales, les dissonances inattendues, et j'ai l'impression que les oeuvres belles en sont remplies: si je sais tout le temps où je vais, ça m'intéresse moins, d'un autre côté si je ne sais pas du tout où je vais c'est compliqué aussi...
Un auteur classique que je trouve par exemple difficile à prévoir, c'est CPE Bach.
Les compositeurs contemporains parce que notre oreille est peu habituées à ces voltes faces.
Pour les accents, c'est plutôt à cause de mon ignorance. Depuis que je pense Bach comme "ciel et terre" à la baroque, les appuis et suspensions sont plus clairs et je le joue plus facilement. J
e vais d'ailleurs rebondir là-dessus dans la rubrique playlist...

[Bruno]

Fil très intéressant, Claudia.
Je trouve que les compositeurs du 20e siècle nous ont obligé à décrypter leur musique car difficile d’approche et loin du pur classicisme.
Fauré, Ravel, Scriabine, Rachmaninoff, Prokofiev et bien d’autres ont su créer des atmosphères incroyables par des surprises, des modulations inattendues , des brusques changements de rythme ( Poulenc).
En les travaillant régulièrement l’on est en quelque sorte rôdé à ce qui pourrait sembler contre-intuitif.
Merci Claudia