Jouer musicalement...

[Claudia]

J'ai relu le fil et en fait je m'interroge sur ce terme de musical, musicalité. Souvent on entend des pianistes dire qu'ils ont appris le morceau et que maintenant "ils pourront travailler la musicalité » comme si la musique était quelque chose en plus qui venait s'ajouter aux notes. Je pense que c'est faux, et que ça ne se passe pas comme ça. Mais, évidemment, quand le texte est difficile, il faut se donner le temps de l'apprendre. Ce dont tu parles et un autre problème, il s'agit de morceaux qui sont techniquement difficiles. Quand il manque de l'aisance cela ne veut pas forcément dire qu'il n'y a pas de musicalité. Un auditeur exercé entendra parfaitement les intentions musicales. Pour autant que celles-ci soient claires dans ton esprit.

[JPS1827]

Il n'est pas toujours facile d'arriver à jouer d'emblée comme on voudrait que ça sonne, mais je suis de plus en plus persuadé qu'on doit essayer de le faire même dans les morceaux difficiles en s'étreignant à jouer d'assez long passages lentement avec le son, le phrasé et l'égalité que l'on souhaite obtenir quand ce sera joué au mouvement souhaitable.
J'ai mis très longtemps à m'en persuader, à arrêter de faire des exercices préparatoires (séquelles de la pratique des éditions Cortot dans l'enfance), qui rendent le son dur et sec le plus souvent. Je pense être meilleur en musique de chambre qu'en jouant seul parce qu'en fait j'ai toujours travaillé comme ça pour les parties de musique de chambre. S'astreindre à un travail qui fasse que ce qu'on joue paraisse beau même dans un mouvement très modéré est en fait très agréable. Bien sûr il y a des morceaux qui demandent un travail spécifique pour certains passages, mais il me semble qu'il vaut mieux le faire après avoir "digéré" l'œuvre musicalement parlant.

[catherine]

C'est vrai mais quand même l'aisance vient aussi en jouant, je parle de l'aisance des déplacements, de la fluidité d'un passage, et il me semble qu'il est difficile qu'acquérir une belle connaissance musicale de la pièce tant qu'on n'est pas à l'aise dedans. Surtout si on fait le choix de ne pas trop l'écouter jouée par quelqu'un d'autre au début.Je crois qu'on construit la compréhension qu'on a d'une pièce au fur et à mesure qu'on la travaille, et que le travail de fond participe à cette compréhension mais qu'elle va peu à peu prendre le dessus lorsque l'aisance technique arrive. Je dirais que ce travail de la musicalité n'est bien sûr pas séparé du reste, qu'il faut travailler la musicalité tout le temps, tout au long du travail, partout, mais que la proportion "technique-musique" change peu à peu.

[scarabée]

C'est une question que je me suis beaucoup posé ces derniers temps. Je rejoins Claudia , je suis arrivé à la conclusion (personnelle) que je perdais beaucoup de temps à 'maitriser' le texte puis à former l'idée musicale alors que c'est exactement l'inverse qu'il faudrait faire. C'est très chronophage d'essayer de mettre en place un morceau puis de lui donner un sens. Je pense qu'il vaut mieux commencer dans l'autre sens. Et en pratique ça va plus vite si je sais exactement où je veux aller, globalement et localement. Ce qui ne veut pas dire que ce ne se modifie pas au cours du temps du travail.
La difficulté technique, c'est, je le pense de plus en plus, une idée fausse. Les doigts vont faire ce que tu leur dis de faire, tout est dans la tête. Mais la manière d'arriver au résultat, une fois qu'on connait le résultat attendu, ça ça demande du travail et de l'inventivité mais qui ne peut être réalisé efficacement qui si on a une idée très arrêtée du résultat attendu.
Mais bon, pour moi, cette étude c'est aussi très difficile... Courage, il faut beaucoup de patience.

En revanche, je ne pense pas comme Claudia qu'il faut travailler avec des objectifs précis. Je pense qu'il faut alterner les séances 'objectifs' et les séances plaisir/recherche/désordonné/on essaye tout/rien n'est interdit

[Laure]

Pour ma part, j'ai l'impression que l'alternative technique/musique est très artificielle. Travailler la technique avant la musique me semble une affirmation aussi caricaturale que sa formulation opposée : avoir l'idée musicale avant la technique.
Je me dis que ces deux idées ne sont que des idées pédagogiques, c'est-à-dire qu'elles ne prennent sens comme direction pour l'élève que dans un contexte et une difficulté donnés. Selon le cas, on ira plus ou moins dans un sens ou dans un autre.
1/ Des fois, j'ai bien l'idée musicale de ce que je veux faire mais je n'y arrive pas : ma prof me suggère dans ce cas de rectifier un geste, , m'explicite la partition, clarifie le rythme, me montre ou je peux ralentir, accélérer, etc.
2/ Des fois, j'ai les notes en place mais je ne comprends pas ce que ça doit dire et ça ne dit rien. Ma prof me suggère de rectifier un geste, m'explicite la partition, me clarifie le rythme, me montre où je peux ralentir et accélérer, etc.
Donc quel que soit le problème, j'ai l'impression que c'est un peu toujours les mêmes solutions.

C'est à la fois terrible et passionnant de vous lire. Terrible parce que je ne comprends pas la moitié de vos interrogations et que je me sens toujours bête, passionnant parce que j'entrevois parfois un peu ce que je devrais comprendre. Ca me fait beaucoup réfléchir.

[Claudia]

Le post de Line-Marie est une parfaite illustration du propos !
j'ai un peu mieux compris comment avancer sur cette question en travaillant des petites pièces que je ne connaissais pas, donc sans me guider par la mémoire auditive du morceau. Là il faut vraiment chercher soi-même et on est bien obligé de bien ouvrir les oreilles ! Et de lire et travailler de manière un peu imaginative comme le dit Scarabée.

[catherine]

Je suis maladroite pour m'exprimer. Quand je parle de la proportion technique-musique ça donne une impression beaucoup trop dichotomique qui ne correspond pas à ce que je veux dire. Pour moi les deux sont incrustées l'une dans l'autre et en fait inséparables, et même dire "les deux" est réducteur car il y a d'autres dimensions.
Je voulais dire que l'aisance du geste aide le son, et que le son qu'on s'est représenté avant de jouer comme on veut qu'il soit, aide le geste à trouver sa juste mesure. Et qu'être de plus en plus à l'aise dans une pièce dont le déchiffrage avance va permettre un travail sur le son que je n'arrive pas à faire de la même façon avant. Je peux penser, imaginer, prévoir, comprendre, et cela fait partie intégrante du travail (en fait je ne peux même pas imaginer de travailler "seulement la technique" ), mais tant que je n'ai pas fait et entendu ce n'est pas abouti, car ce que j'entends et ce que je ressens à l'intérieur du geste, au présent, va me conforter ou au contraire me faire changer ce geste et ce que je veux mettre dans ce geste pour obtenir un son. Or ce temps présent prend forme au fur et à mesure que le geste s'affirme.

Ce n'est sans doute pas clair car je n'arrive pas à bien saisir moi-même ce que je veux dire.... Il y a une histoire de temporalité, faire c'est le présent, construire c'est le futur, et les deux se complètent mais c'est au présent qu'on joue et au présent qu'on s'adapte (presque) immédiatement... bref je vois bien que je ne vais pas m'en sortir comme ça je vais laisser reposer...

[catherine]

j'aime bien la notion de travail/découverte où tout est permis, j'utilise beaucoup cela et je pense que c'est une bonne illustration de l'une des dimensions du présent.

[Claudia]

Cette liberté m'attire, mais j'avoue que je ne la pratique pas beaucoup... je vais davantage y songer!

[Lee]

Merci beaucoup pour toutes ces nouvelles réponses intéressantes.
Même si on fonctionne différemment chacun∙e c'est enrichissant de vous lire et apprendre de vous...d'y songer beaucoup !