Vincent a écrit : ↑jeudi 1 août 2019 12:53
C'est un très beau texte à lire. L'écriture en est aussi magnifique.
Mais je dois avouer, en toute candeur - et un peu honteusement aussi - qu'il me dépasse. Je n'ai pas la culture musicale, ni même la mémoire auditive, qui me permettrait de faire ces liens que Jankélévitch évoque avec certaines pièces de Fauré, de Scriabine (surtout que sa période "extatique et chaotique" n'est pas ma favorite, loin de là), de Balakirev ou de Lyadov, liens qui semblent importants pour comprendre, comparativement, ce qu'il écrit sur la Fantaisie.
J'avoue aussi, je le dis là aussi un peu piteusement, que le texte lui-même m'est ardu. Même si on ce laisse facilement emporter par la beauté de l'écriture, le sens de ce qu'écrit Jankélévitch me reste difficilement saisissable.
J’ai failli écrire le même message que toi, parce que le texte est dense, que je n’ai pas du tout la culture musicale pour le comprendre et parce que toute façon il faudrait connaître tout à la fois le romantisme allemand, les règles d’harmonie et Liszt, Balakirev, Fauré, Scriabine, Schumann, Hoffmann pour en saisir toute l’essence .
Néanmoins il y a une grosse accroche littéraire : celle de l’imagination, puisque tout le texte brode autour du titre du morceau, « Fantaisie », et fait explicitement référence à la
Phantäsie chez Novalis, ou à Hoffmann (et ses
Phantäsiestücke , avec cette mauvaise traduction française de « Contes fantastiques » ?). Je connais trop mal Novalis pour en parler de manière pertinente mais disons que le gars est un peu le Châteaubriand français : une bombe qui allume la ferveur romantique
La
Phantäsie chez Novalis, qu’on traduit par
imagination en français (et par
fantasy en anglais), c’est une notion qui va innerver tout le romantisme français : c’est rien moins que l’avènement du rêve sur la raison cartésienne, et le droit imprescriptible du poète de se libérer des règles du discours, dans une perspective anti-classique :
« pas raison ni logos, mais imagination », nous dit Jankélévitch.
Je crois qu’on pourrait paraphraser ce que dit Jankélévitch au sujet de cette Fantaisie de Chopin par ce que disait Nerval au sujet de Heine : « Les mots ne désignent pas les objets, ils les évoquent. Ce n’est plus la lecture qu’on en fait, c’est une scène à laquelle on assiste. »
Ainsi, il y a cette chose dans la
Phantäsie novalienne, et plus largement chez les romantiques, que l’on retrouve dans ce texte au sujet de la Fantaisie de Chopin : l’idée d’une imagination créatrice. Le rêve n’est pas un divertissement, une fuite pascalienne, c’est une ivresse totale : Apollon le conducteur des muses est saoul et titube comme Dionysos, émerveillé lui-même par la vision qu’il produit
L’imagination est donc une magie démiurgique et fait se succéder différents tableaux hallucinatoires et suggestifs, les
« huit éléments fondamentaux » de cette Fantaisie.
Jankélévitch rapproche et oppose Chopin et Fauré, chez qui malgré l’ivresse / l’opium (= le nécessaire abandon), l’artiste reste totalement maître et acteur de ce qu’il crée au moment où il le crée, alors que ce serait total abandon chez Chopin, dont la Fantaisie illustrerait tous les états de l’âme humaine : "une narration aussi riche en péripéties et en aspirations diverses", dit JPS.
Ah et aussi, Vincent, relis cette phrase de au sujet de Fauré :
Jankélévitch a écrit :
"Le lucide, l’hellénique musicien de Pénélope et de l’Hymne à Apollon ne perd jamais le contrôle de ses vertiges, et il trouve tout naturellement l’équanimité dans la précision."
C’est exactement ce que tu disais avec beaucoup d’acuité dans le fil « rencontre du 28 juillet » (mais tu prenais le parti de l’interprète) :
Vincent a écrit :
"la solution se trouve dans la capacité à domestiquer son cerveau et ses pensées (en même temps, c’est un sacré paradoxe : il faut à la fois lâcher son intellect pour se laisse envahir par le son et la musique, mais tout en gardant un contrôle très strict de son mental)"
Tu écris du Jankélévitch !!