La dissonance en musique a-t-elle son équivalent en peinture ou dans la poésie?

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Marie-France
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Re: La dissonance en musique a-t-elle son équivalent en peinture ou dans la poésie?

Message par Marie-France »

Claudia a écrit : lundi 21 août 2023 19:48 C'est super intéressant.

Je pense qu'on peut chercher une analogie dans le fait que certaines couleurs s'attirent et d'autres au contraire se repoussent, donc une tension est perçue. Les couleurs découlent du prisme et forment un continuum, comme les sons, mais dans ce continuum il y a une structure. Je crois que Kandinsky parlait de "rythme" aussi en peinture. La grande différence c'est qu'en musique c'est quelque chose qui se déroule dans le temps, alors qu'en peinture c'est synchrone, le regard est affecté par un mouvement ou une tension qui se présentent immédiatement et qui creusent cet affect dans la rétine, de sorte que plus on regarde et plus on est affecté.
Très intéressant. Pourtant (en tout cas pour moi, je ne sais pas pour vous) lorsque je regarde une toile, même d'un grand maître, je n'éprouve pas du tout la même émotion que celle produite par la musique. Peut-être comme tu dis parce que celle-ci se déroule dans le temps ou bien parce que c'est plus facile d'accès, plus "primaire".

Pour en revenir à la dissonance en peinture, et en relisant l'article de Hémiole, les couleurs voisines ne sont pas appelées dissonances comme en musique, les notes voisines. Par contre elles seraient classées dans la catégorie "analogique" si j'ai bien compris, et pourraient refléter monotonie et manque de dynamisme. Ce qui n'est pas du tout le cas pour des sons voisins en musique, une seconde étant considérée comme dissonante et expressive.

Bon je tâtonne, j'essaie de comprendre et d'ordonner! Si j'ai tout faux, il faut me le dire.

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Lee
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Re: La dissonance en musique a-t-elle son équivalent en peinture ou dans la poésie?

Message par Lee »

Merci Marie-France pour ce fil intéressant et educatif !

Je me souvenais de poésie "slant" surtout par Emily Dickinson : au lieu de rhymer, les mots à la fin de la ligne avaient des voyelles différentes :
A narrow Fellow in the Grass
Occasionally rides
You may have met him – did you not
His notice sudden is

The Grass divides as with a Comb –
A spotted shaft is seen
And then it closes at your feet
And opens further on
Mais je me souvenais pas alors je cherchais pour la "poésie dissonante", la dissonance est créée par les rythmes irréguliers, des sons de voyelles différentes ou discordantes, ou les mots qui sonnent "dur :idea: es".
https://www.masterclass.com/articles/po ... h-examples

On donne un exemple qui parle de notre sujet en commun :
John Updike a écrit : My stick fingers click with a snicker And, chuckling, they knuckle the keys; Light footed, my steel feelers flicker And pluck to these keys melodies.
- "Player Piano”
On explique que ce poeme contient des exemples de consonance—les sons “ck” répétés, mais globalement l'effet est dissonant voire cacophone—à cause d'autant des consonnes occlusives en succession proche.

JPS1827
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Re: La dissonance en musique a-t-elle son équivalent en peinture ou dans la poésie?

Message par JPS1827 »

Hémiole a écrit : lundi 21 août 2023 11:22 Les notions de consonances ou dissonances en musique ne sont quand même pas si subjectives que ça puisqu'elles correspondent en premier lieu à la notion physique d'harmoniques ?
C'est bien ce qui me semblait

JPS1827
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Re: La dissonance en musique a-t-elle son équivalent en peinture ou dans la poésie?

Message par JPS1827 »

Marie-France a écrit : lundi 21 août 2023 20:48
Très intéressant. Pourtant (en tout cas pour moi, je ne sais pas pour vous) lorsque je regarde une toile, même d'un grand maître, je n'éprouve pas du tout la même émotion que celle produite par la musique. Peut-être comme tu dis parce que celle-ci se déroule dans le temps ou bien parce que c'est plus facile d'accès, plus "primaire".

Pour en revenir à la dissonance en peinture, et en relisant l'article de Hémiole, les couleurs voisines ne sont pas appelées dissonances comme en musique, les notes voisines. Par contre elles seraient classées dans la catégorie "analogique" si j'ai bien compris, et pourraient refléter monotonie et manque de dynamisme. Ce qui n'est pas du tout le cas pour des sons voisins en musique, une seconde étant considérée comme dissonante et expressive.

Bon je tâtonne, j'essaie de comprendre et d'ordonner! Si j'ai tout faux, il faut me le dire.
La dissonance de couleur ça évoque pour moi des remarques de mes parents sur la couleur d'un rideau orange à côté de coussins d'un rouge un peu carmin tirant un peu sur un rose, j'entendais ma mère dire "oh là là ça jure", mais dans les tableaux de maître ça ne me rappelle pas grand-chose.

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Marie-France
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Re: La dissonance en musique a-t-elle son équivalent en peinture ou dans la poésie?

Message par Marie-France »

JPS1827 a écrit : jeudi 24 août 2023 15:12
Hémiole a écrit : lundi 21 août 2023 11:22 Les notions de consonances ou dissonances en musique ne sont quand même pas si subjectives que ça puisqu'elles correspondent en premier lieu à la notion physique d'harmoniques ?
C'est bien ce qui me semblait
Je recherchais de quoi étayer mon approche incluant la subjectivité à la notion de consonance et de dissonance, sans nier pour autant les lois de la physique des sons.
Voici un article de Fabien Levy, compositeur/chercheur à l'Ircam. Je l'ai lu jusque la page 8. J'avoue qu'après il faut s'accrocher. Mais pour lui, on ne peut nier que la subjectivité culturelle soit présente dans la perception d'une consonance et d'une dissonance.

https://www.fabienlevy.net/wp-content/u ... idoyer.pdf

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Marie-France
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Re: La dissonance en musique a-t-elle son équivalent en peinture ou dans la poésie?

Message par Marie-France »

Lee a écrit : mercredi 23 août 2023 17:00
Mais je me souvenais pas alors je cherchais pour la "poésie dissonante", la dissonance est créée par les rythmes irréguliers, des sons de voyelles différentes ou discordantes, ou les mots qui sonnent "dur :idea: es".
https://www.masterclass.com/articles/po ... h-examples
Merci Lee.
J'ai trouvé sur le site de l'Université de Poitiers des explications qui vont dans ce sens, plutôt dans le sens de la rythmique, de la rime.
Mais la consonance et la dissonance en poésie existent bien, en étroite relation avec la musique et ont été théorisées.

https://textus-et-musica.edel.univ-poit ... #bodyftn63

Par exemple :
« … Dans le vaste ensemble d’erreurs que l’on peut trouver dans les œuvres poétiques et musicales, on peut distinguer deux grandes catégories qui sont d’une part les fautes de transmission, imputables à des copistes, et de l’autre les fautes commises soit par le poète, soit par le compositeur. À ces erreurs repérables dans les œuvres il faut ajouter les erreurs d’interprétation imputables aux lecteurs que nous sommes. La première de ces erreurs d’interprétation est de lire la poésie de la Renaissance comme nous lisons les œuvres classées sous cette étiquette à notre époque, c’est-à-dire sans musique. En effet, toutes les sources documentaires prouvent qu’à la Renaissance la poésie n’était pas destinée à être lue silencieusement et en solitaire, qu’au contraire elle était pratiquée en groupe et, le plus souvent, en association avec la musique – récitation ou chant, et accompagnement instrumental à la lyre, c’est-à-dire un instrument à cordes pincées ou frottées comme la lira da braccio, le luth ou la vihuela selon les circonstances. »

Et :

« … Pour bien marquer que le rapport entre poésie et musique, à la Renaissance, n’est ni historique ni métaphorique mais bien métonymique : parler de poésie lyrique quand on chante véritablement les poèmes avec un instrument appelé lyre – lira da braccio, lira d’arco – ou dont le nom est considéré synonyme de celui de lyre, comme c’est le cas de la vihuela– c’est évoquer une pratique qui ne sépare pas le poème de l’instrument qui le soutient. »

Puis plus loin est développée la notion de consonance et dissonance.

Si le cœur vous en dit c’est très intéressant.

Alain31
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Re: La dissonance en musique a-t-elle son équivalent en peinture ou dans la poésie?

Message par Alain31 »

J'ai lu (trop rapidement) les deux articles savants que Marie France as mis sur le fil. Ils sont tout à fait intéressants mais je continue à m'interroger les limites de l'analogie poésie musique à travers le couple dissonance/consonance. La poésie est musique mais elle n'est pas que musique. Elle est aussi un langage qui produit du sens. Rien n'empêche un poète d'écrire des choses très âpres avec une forme très consonante. C'est également le cas dans la littérature romanesque.
Un exemple ; un des premiers écrits de Leïla Slimani raconte une histoire terrible : l'assassinat de deux bébés par une employée de maison, a priori bien sous tous rapports. Le titre est : chanson douce et le style du livre est parfaitement consonant !
Pour en revenir à la poésie j'ai refeuilleté l'anthologie de la poésie populaire française présentée par Claude Roy. Il est frappant de constater dans tous les poèmes anciens la parfaite adéquation musicale entre le fond et la forme : tout est sonnant ou dissonant ! Il me semble que cette adéquation est moins évidente, peut-être moins recherchée, dans la poésie post romantique, par exemple chez les symbolistes ou les surréalistes.
Mais je suis prêt à être contredit par des personnes beaucoup plus compétentes que moi !

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Re: La dissonance en musique a-t-elle son équivalent en peinture ou dans la poésie?

Message par Laure »

J’ai lu l’article sur la poésie espagnole de la Renaissance que tu as mis en lien Marie-France ; c'est intéressant en effet mais c'est pointu, j'ai un peu transpiré sur l'accent antirythmique dans l'hendécasyllabe espagnol du siècle de l'âge d'or :mrgreen2: :lol:
La limite de cette théorisation du couple dissonance/consonance en poésie est qu’elle n’est évidemment pas parfaitement transposable à toutes les langues, chacune développant sa propre musicalité et ses propres règles en fonction de ses caractéristiques intrinsèques (par exemple je ne vois pas bien ce que pourrait donner "l’accent antirythmique" en français, héritage de la métrique grecque si j’ai bien compris) alors que la définition du couple est beaucoup plus stable en musique. D’ailleurs à ma connaissance les termes "dissonance/consonance" en poésie française ne sont pas des outils d’analyse théorisés, on parle plutôt d’ "euphonie/cacophonie" comme l’a expliqué Lee pour l’anglais. Finalement on voit que ce que l’autrice appelle "dissonance" ou "consonance" occupe un spectre assez large, qui va de la correspondance musicale assez stricte (comme le parallèle entre rime et "parfait accord", "doux accord", comme un do avec un do) à ce qu’elle appelle "la dissonance métrique" qui concerne alors les effets de rythme et non plus seulement de sons.

Sinon sur le lien entre le poète et le chant, Orphée et la lyre, qui est évoqué dans le début de l'article, il y aurait trop plein de trucs à dire, c'est vraiment un énorme topos de la poésie. L'évolution du traitement de ce thème dans l'histoire littéraire porte tout un discours métapoétique qui peut peut-être entrer en lien avec l'histoire de la musique mais je ne sais pas si c'est cela qui t'intéresse :?:
Alain31 a écrit : vendredi 25 août 2023 13:34 Rien n'empêche un poète d'écrire des choses très âpres avec une forme très consonante. C'est également le cas dans la littérature romanesque.
Un exemple ; un des premiers écrits de Leïla Slimani raconte une histoire terrible : l'assassinat de deux bébés par une employée de maison, a priori bien sous tous rapports. Le titre est : chanson douce et le style du livre est parfaitement consonant !
Bonjour Alain,
Pour ma part j’aurais plutôt pensé que le titre est ironique et que c’est justement de ce décalage avec le contenu du récit que naît la dissonance (au sens large).
Alain31 a écrit : vendredi 25 août 2023 13:34 Pour en revenir à la poésie j'ai refeuilleté l'anthologie de la poésie populaire française présentée par Claude Roy. Il est frappant de constater dans tous les poèmes anciens la parfaite adéquation musicale entre le fond et la forme : tout est sonnant ou dissonant ! Il me semble que cette adéquation est moins évidente, peut-être moins recherchée, dans la poésie post romantique, par exemple chez les symbolistes ou les surréalistes.
Mais je suis prêt à être contredit par des personnes beaucoup plus compétentes que moi !
Je ne connais pas l'anthologie dont tu parles mais il me semble qu’à n’importe quelle époque, un bon poète ou une bonne poétesse accorde le fond et la forme donc je ne suis pas sûre de comprendre ce que tu écris ; peut-être voulais-tu parler d’écart par rapport à la norme ?

JPS1827
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Re: La dissonance en musique a-t-elle son équivalent en peinture ou dans la poésie?

Message par JPS1827 »

Je suis un peu largué sur l'accent anti-rythmique (en plus je n'ai pas beaucoup de restes en latin), quand il parle de l'enjambement je comprends mieux ce qu'il veut dire, mais ça n'évoque pas grand-chose pour moi. Ainsi un quatrain comme

L'un des consuls tué, l'autre fuit vers Linterne
Ou Venuse, l'Aufide a débordé, trop plein
De morts et d'armes, la foudre au Capitolin
Tombe, le bronze sue et le ciel rouge est terne.

m'a toujours paru très bizarre (et sujet à de nombreuses questions en classe de français sur le rejet en poésie…), mais je ne l'ai jamais assimilé à quelque chose de dissonant. J'ai un peu de mal à entrer dans ce que dit Séverine Delahaye-Grélois, je ne suis même pas sûr d'avoir saisi l'essentiel de son propos.

Laure
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Re: La dissonance en musique a-t-elle son équivalent en peinture ou dans la poésie?

Message par Laure »

De ce que j’ai compris, l’essentiel de son propos consiste à dire que les lecteurs d’aujourd’hui lisent mal la poésie espagnole de la Renaissance car ils n’en perçoivent plus la parenté avec la musique. En somme, ils ne percevraient plus les "dissonances" et passent donc à côté de nombreux effets de sens là où les auditeurs de l’époque les entendaient très bien (et les contestaient parfois d’ailleurs). L’ "accent antirythmique" serait en gros un accent porté sur un temps faible, en plus de l’accent porté naturellement sur le temps fort (comme en musique, quand on bat la mesure), ce qui fait deux accents consécutifs et donc une sorte de dissonance de rythme (mais j’ai peut-être mal compris). Pour ce qui est de l’enjambement dont elle parle, je suis comme toi, je ne vois pas bien où est la dissonance sinon dans la non-concordance de la syntaxe avec le moule du vers, mais quoi, cela reste un procédé habituel en poésie. L’autrice précise cependant que l’enjambement heurte davantage les oreilles espagnoles et italiennes que les oreilles françaises, ce sur quoi je la croirai sur parole, faute d’y connaître quoi que ce soit à la poésie espagnole ni même à la langue (il faut dire que dans les exemples qu’elle prend, on voit des enjambements sur les mots eux-mêmes, qui sont carrément coupés d’un vers à l’autre, c'est pour le moins audacieux).

A mon humble avis, si on considère que des procédés comme l’enjambement, le rejet/contre-rejet relèvent d’une forme de dissonance, on va trouver des dissonances à peu près partout vu que l’effet poétique naît précisément d’une tension entre les règles (pas seulement métriques) et leur dépassement. Ce serait une application large de cet article qui ne s’intéresse pourtant qu’à une poésie spécifique, mais pourquoi pas. Personnellement, j'aurais plutôt spontanément compris la question de Marie-France comme : Que serait une dissonance en poésie ? = Qu'est-ce qui sonne moche en poésie ? (et dans ce cas, les exemples qui me viennent sont surtout des écarts importants à la norme d'une époque, écarts tels qu'ils redéfinissent/questionnent la poésie)

En tout cas pour les vers de Heredia que tu cites, si je devais faire une analogie musicale, comme toi ce n’est pas "dissonance" qui me viendrait. Je dirais plutôt virtuosité (de l’écriture) parce que je trouve qu’il met surtout en avant le savoir-faire du poète, avec la rareté du lexique, la qualité des rimes, les jeux rythmiques, etc., le tout restant dans un moule parfaitement classique ; c’est une recherche de perfection formelle, de l’orfèvrerie (pour moi ce serait ça qui sonne "bizarre", au sens fort, c’est-à-dire quasi extravagant dans sa perfection) ? Mais je suis peut-être mal placée pour en parler car ne suis pas le meilleur public des parnassiens (je sais qu'a contrario tu aimes beaucoup Heredia, on en avait parlé à Beuvray :wink: )

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