J'ai écouté hier avant de me coucher
, avec des écouteurs. Je ne l'avais jamais entendue, cette sonate. J'ai trouvé ça fascinant.
D'abord on est dans un autre monde. Il faut en avoir envie. Cette envie correspond à un moment, un désir, une disponibilité (ou une rage, une colère, un dégoût pour l'ancien monde, ou encore des sensations diffuses qui font qu'à l'écoute de cette pièce on se sent propulsé dans des émotions complètement nouvelles, vierges, puissantes).
Ensuite il y a cette sensation que l'on accepte, ou pas, d'être "chassé au dehors". Il y a une illusion propre à la musique classique, peut-être par les millions d'heure d'écoute dans notre vie, qui fait que même des pièces extrêmement virtuoses nous semblent familières, proches, accessibles en tout cas mentalement, comme si c'était "nous" avec juste un exposant de difficulté "en plus". Ici non, même à la lecture de la partition, l'oeil n'arrive pas à suivre, on est dehors, point, c'est injouable, indéchiffrable, inaccessible. Donc le jugement se suspend, on accepte, et on s'en tient à la seule perception, ce qui est miraculeux car ça nous ramène à la naissance de la musique en nous, la plus ancienne peut-être, le choc.
Et puis, il y a le piano. On ne peut jouer cette pièce que sur un piano magnifique, un instrument merveilleusement accordé, matériellement capable de tout, du coup le son est beau, les contrastes sont saisissants, la vie sonore est d'une richesse folle, j'avais envie de toucher ce piano, j'avais envie de "jouer du piano" moi aussi, j'ai retrouvé comme renouvelé ce désir fou d'un instrument percussif, chantant, résonnant, généreux, hyper précis, des pianissimo murmurants, des temps de silence habités, cette mémoire du son, quelque chose d'infini et de construit.
Enfin, le pianiste. L'individu qui réalise tout cela, une pensée, une curiosité, un travail fou, et un amour fou. Vers une heure du matin, j'ai eu le coeur rempli d'admiration.