Maurizio Pollini (1942-2024)

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Laure
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Re: Maurizio Pollini (1942-2024)

Message par Laure »

Alors je dois appartenir à ta troisième catégorie : ça ne me touche pas mais je ne suis pas indifférente.
En fait, je ne cherche pas à aimer Boulez (un volontarisme dans ce domaine n'aurait pas sens) ni à converger, je cherche juste à entr'apercevoir ce que ceux qui aiment voient que je ne vois pas. Juste pour sortir de l'abîme de perplexité dont tu parles toi aussi : bref, je suis seulement très intriguée et frustrée de ne lire souvent que des affirmations de principe.
Vincent a écrit : dimanche 21 avr. 2024 11:58 C'est sans doute consubstantiel à l'art contemporain.
D'accord avec toi ! (Et pas toujours pour de bonnes raisons à mon sens.)

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Claudia
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Re: Maurizio Pollini (1942-2024)

Message par Claudia »

Le pourquoi de l'étrangeté de cette musique ne me paraît pas mystérieux, on sort du système tonal, donc évidemment c'est autre chose, ça ne répond à aucune de nos habitudes, essentiellement d'anticipation (pour les rythmes je trouve qu'il y a des motifs reconnaissables et la structure n'est pas complètement étrangère, ça reste une sonate).
Je suis d'accord avec toi Vincent, même si je souris intérieurement en me rappelant tes efforts vraiment sincères pour faire aimer Bach à certaine Pianaute réticente ou me faire aimer Rachmaninov. Quand on aime un compositeur ou un style on aimerait convier ses amis à partager ce plaisir. Et devant une totale résistance, et bien on décortique, on essaye de trouver les mots, les raisons, les motifs. Pourquoi Bach? C'est exactement la même question. La musique est une.
Je pense aussi qu'il y a bien un moment où il faut en passer par l'étude! C'est-à-dire, si choc, intérêt, attrait il y a, pour cette musique comme pour toute autre, il faut bien faire l'effort d'acquérir son vocabulaire, sa grammaire, les formes de son éloquence particulière. (bien évidemment si on n'aime pas il vaut mieux porter ses efforts sur autre chose que l'on aime avec passion, car la musique c'est quand même une question de passion et de nécessité intérieure !). Mais ceci est vrai de toute musique, et c'est le chemin de l'interprète.

(par exemple, j'adore Haydn depuis toujours, mais hier en cours j'ai encore appris bien des choses sur son vocabulaire! Je pense que les mélomanes stricts étudient aussi. Ils constituent une partie du public des concerts, sans doute pas majoritaire, mais ils existent. Curieusement chez les pianistes amateurs je ne trouve pas ce travers hyper-savant des mélomanes, sans doute parce que la pratique rend humble :coeur: )

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Chantal
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Re: Maurizio Pollini (1942-2024)

Message par Chantal »

Merci Claudia, Laure, Alain et Vincent. Je viens de lire avec beaucoup d'intérêt vos interventions.
Claudia a écrit : dimanche 21 avr. 2024 13:16 Je pense aussi qu'il y a bien un moment où il faut en passer par l'étude! C'est-à-dire, si choc, intérêt, attrait il y a, pour cette musique comme pour toute autre, il faut bien faire l'effort d'acquérir son vocabulaire, sa grammaire, les formes de son éloquence particulière.
C'est ça que je ne comprends pas. Pourquoi est-ce nécessaire ? Est-ce que mon émotion sera différente si je sais que Bach, à la nième mesure de sa pième fugue module en ré mineur ? Parce que si dans une autre œuvre je retrouve cette même modulation, il n'est pas sûr que mon ressenti soit le même…
Claudia a écrit : dimanche 21 avr. 2024 13:16 (…la structure n'est pas complètement étrangère, ça reste une sonate).
Pas si sûre, voici ce que Boulez lui-même écrivait à propos de sa 2ème sonate (pardon, c'est en Anglais):
"I tried to destroy the first-movement sonata form, to disintegrate slow movement form by the use of the trope, and repetitive scherzo form by the use of variation form, and finally, in the fourth movement, to demolish fugal and canonic form. Perhaps I am using too many negative terms, but the Second Sonata does have this explosive, disintegrating and dispersive character, and in spite of it own very restricting form the destruction of all these classical moulds was quite deliberate"
Boulez, Pierre. 1976. Conversations with Célestin Deliège. Ernst Eulenburg. London.


Vincent a écrit : dimanche 21 avr. 2024 11:58 Je ne vois pas cela du tout ainsi. Il n'y a rien d'insoluble, puisqu'il n'y pas de problème - et donc pas solution à rechercher. D'un côté il y a ceux qui aiment, de l'autre ceux qui n'aiment pas. (Et peut-être au milieu quelques-uns que ça ne laisse pas indifférents.) Mais il n'y a rien qui obligerait à devoir les réconcilier ou à les faire converger. C'est un état de fait, c'est ainsi, point final. Je fais partie clairement de la 1ere catégorie dans ta typologie, mais je ne crie nullement "au secours, aidez-moi à comprendre !". Mon désamour de cette musique ne provoque pas d'états d'âme particuliers chez moi, je suis très à l'aise avec ça et n'ai nul besoin de chercher à comprendre.
Tout à fait. Pour moi, une émotion "esthétique" n'a pas besoin d'explication. On la ressent, ou pas, et s'il faut une explication pour la ressentir, c'est déjà biaisé… Vous avez tous pu voir mon "avatar" : c'est une (toute petite, hélas) reproduction du tableau de Van Gogh "Vol de corbeaux sur un champ de blé". Si j'ai choisi ce tableau, c'est pour me souvenir que c'est devant lui que j'ai ressenti, à 13 ans, ma première émotion picturale, lors d'une exposition consacrée au peintre. La toile était accrochée face à l'entrée du musée et elle m'a happée dès mon arrivée. Je me suis perdue dans cette toile et j'aurais pu m'y oublier devant pendant des heures… Plus tard, j'ai lu une explication ampoulée et très pédante de cette toile qui m'a bien fait rire : en gros, c'était "oui, Van Gogh a peint sur cette toile trois chemins, c'est la preuve qu'il était désemparé, il ne savais pas quel chemin prendre; d'ailleurs, il était tellement désemparé que tout de suite après avoir terminé le tableau, il s'est tiré une balle dans la tête (ce qui est faux !)". Auriez-vous ressenti une émotion quelconque après la lecture d'une telle explication ?
Vincent a écrit : dimanche 21 avr. 2024 11:58 D'où ma grande irritation quand on cherche à théoriser ma rétivité à Boulez (et à d'autres). Pourquoi tout vouloir expliquer, décortiquer, analyser ? Ne pouvons dire simplement j'aime/j'aime pas, accepter comme tels les avis divergents et n'encourir ni sermon ni tentatives de conversion - et réciproquement sans être soi-même tenté de se faire prosélyte de ses propres perceptions ?
J'agrée entièrement. Pour moi, ce n'est même plus une grande irritation, mais un rejet viscéral de tout ce qui ressemble de près ou de loin au "prêt à penser". Peut-être, une déformation professionnelle, la première chose que l'on apprenait dans mon métier, avec l'humilité, étant de penser par soi-même.

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Re: Maurizio Pollini (1942-2024)

Message par Claudia »

Je réponds rapidement, Chantal,
Ce n'est pas nécessaire dans le sens d'une "obligation", mais simplement parce que c'est ainsi que l'être humain cultive ce qu'il aime, par la connaissance. Celle-ci revêt diverses formes (l'étude en est une parmi d'autres), mais c'est toujours une connaissance.
On ne reste pas dans l'émotion pure, c'est impossible.

Enfin, il me semble.


(et puis, la connaissance, l'étude, bref cette fréquentation longue des oeuvres, ne tarit pas l'émotion ni n'empêche sa ré-émergence; il y a toujours de l'inexpliqué, rien ne s'épuise....)

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Re: Maurizio Pollini (1942-2024)

Message par Laure »

Avez-vous écouté la pièce de Neuwirth proposée par Line-Marie ? C'est spectaculaire sur tous les plans, j'adore ! (même si parfois j'ai ri :mask: )
Grand plaisir d'écoute en tout cas pour moi, sur une musique atonale (décidément, le mystère Boulez s'épaissit :mrgreen: )

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Re: Maurizio Pollini (1942-2024)

Message par Vincent »

Laure a écrit : lundi 22 avr. 2024 11:29 Avez-vous écouté la pièce de Neuwirth proposée par Line-Marie ? C'est spectaculaire sur tous les plans, j'adore ! (même si parfois j'ai ri :mask: )
Grand plaisir d'écoute en tout cas pour moi, sur une musique atonale (décidément, le mystère Boulez s'épaissit :mrgreen: )
Oui, j'ai (essayé) d'écouter. Je crains que mon silence ne vaille réponse... :mask:
(Mais curieusement, je suis éminemment surpris du plaisir que tu y as trouvé. Ce n'est pas le mystère Boulez qui s'épaissit, c'est un mystère Laure qui émerge maintenant ! :mrgreen: )

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Re: Maurizio Pollini (1942-2024)

Message par Laure »

Vincent a écrit : lundi 22 avr. 2024 12:16 Ce n'est pas le mystère Boulez qui s'épaissit, c'est un mystère Laure qui émerge maintenant ! :mrgreen: )
Ne pourrait-on pas facilement l’expliquer par mon goût pour le risque, ma quête incessante d’émotions véritables, ma très large ouverture d’esprit et mon immense culture ? :mrgreen2: :mrgreen2: :mrgreen2: :mask:

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Re: Maurizio Pollini (1942-2024)

Message par Lee »

Même si je ne peux pas dire avoir "adoré" le Neuwirth (surtout que j'avais pitié le pauvre piano), je trouvais de sens en l'écoutant, c'est complètement différent et bien plus facile d'accès que la destruction de sonate de Boulez : on reconnait des formes, de la répétition, des émotions...c'est rien à voir ou à écouter avec la Boulez, je n'identifie rien, probablement parce que c'était une volonté de Boulez que ça ressemble à rien.
(Ce matin j'ai écouté les Notations sans dégoût, peut-être que cette sonate est particulière...)

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Re: Maurizio Pollini (1942-2024)

Message par Lee »

Vous me dîtes si vous voulez que je transfère des messages dans un autre fil, mais la discussion est tellement imbriqué je ne savais pas trop comment faire et je n'ai pas l'impression que c'est gênant, Boulez étant cher à Pollini...

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Hémiole
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Re: Maurizio Pollini (1942-2024)

Message par Hémiole »

J'arrive tardivement dans ce fil, à vrai dire c'est le dernier post de Laure qui m'a poussée à écouter le morceau de Neuwirth.

La sonate de Boulez, j'ai laissé tomber au bout d'à peine 3 minutes, je ne supporte pas, ça ne m'intéresse pas. Je soupçonnais quand même, vu ma curiosité et mon attirance pour des musiques très éloignées de ce que j'ai pu entendre en classique depuis ma jeunesse, (et qui vous dit que je n'ai pas apprécié des trucs à coucher dehors dès ma jeunesse d'ailleurs?), que mon rejet de Boulez ne vient peut-être pas que d'un manque d'ouverture des oreilles...

Laure a piqué ma curiosité et j'ai écouté la pièce de Neuwirth en entier avec intérêt et un certain plaisir. Regarder le jeu très investi du pianiste participe d'ailleurs à ce plaisir. Cette oeuvre est amusante, pleine d'énergie, elle me raconte quelque chose. Alors que Boulez a tellement déconstruit que ça ne raconte évidemment rien puisque c'est le but.

Donc ce n'est pas parce qu'on rejette cette sonate de Boulez, fut-elle jouée par Pollini qu'on est bouché et hermétique à toute oeuvre contemporaine voire expérimentale. On a le droit de préférer Ligeti ou Neuwirth à Boulez, de même qu'on a le droit de préférer Brahms à Mozart.

Enfin concernant Pollini, j'ai lu avec intérêt dans le numéro de Pianiste que je viens de recevoir à propos de son engagement dans l'interprétation de la musique contemporaine "si j'ai interprété de la musique de notre temps où relativement récente, ce n'est pas par curiosité intellectuelle, mais avec un plaisir musical profond. J'ai aimé certaines oeuvres de façon très complète, avec toute ma sensibilité, comme les grandes pages classiques, quoique différemment."
Bon, je note le "certaines oeuvres" (vs "toutes"), et j'aurais aimé savoir ce qu'il y avait dans le "différemment".

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