catherine a écrit : mercredi 12 juin 2024 21:24

Michael que deviens-tu ?
Le revoilà !
Je suis désolée, je me suis vraiment lâchée, une idée débile en amenant une autre (nom moins débile) du coup c'est très long et bavard. On va dire comme pour les séries : c'est un double épisode.
Mais je n'ai utilisé que 5 mots. Il en reste 16 si j'ai bien compté, ce qui laisse environ trois passages. Il va donc falloir anticiper la fin de cette palpitante épopée
-Mickey, c’est impossible ! Réveille-toi ! Ré-sistre ! prouve que tu ex-sistre !
Mais, sans crier mascarade, son collègue est disparu dans un vaste éther.
Arthénice ne perd pas un instant ; elle s’assoit sur la chaise de Mickey, ajuste ses lunettes et prend le contrôle de la souris :
« Technicare42, au rapport !
La voix lisse résonne immédiatement :
- Je suis là, ô grand prêtresse du calcul, mère de tous les algorithmes, divinité de la matr…
- Oui bon, s’agace Arthénice un peu pressée, est-ce que tu repères un simple mortel un peu naïf dans le programme ? Je viens de te l’envoyer.
- Je le vois, maîtresse des profondeurs logarithmiques, il est actuellement en train d’errer dans les Champs-Elysées, le quartier des illustres pianistes qui peuplèrent autrefois la terre des mortels. Le désespoir et l’amertume ne lui laissent aucun répit. Son teint est pâle comme le voile qui enveloppe la divine Héra et son œil pleure une larme infinie, tels les fleuves Potamoï, les fils d'Okéanos, enfantés par la vénérable Téth…
- Oui bon on a compris, s’impatiente Arthénice, écoute-moi maintenant. Ce mortel n’a jamais trouvé son pianiste intérieur. Il confond sixte napolitaine et sixte
tonkinoise et pourtant c’est lui que le boss a désigné pour rédiger le bilan projet destiné à booster nos parts de marché. Le mode dorien d’Enirehtac42 était une mauvaise idée. Trop médiéval. Des châteaux aux briques rougeâtres avec des dames blondes en habits anciens à leur fenêtre dans le Mékong, laisse-moi rire, on n’est plus aux temps de la Cochinchine. D’ailleurs Enirehtac, cette quiche, a tout fait planter.
- Je plussoie, ô Sylphide inspirée, où que nous mène la dualité de la situation conjoncturelle, il est préférable de prendre en considération la majorité des problématiques de bon sens. Nous devons travailler tous ensemble à faire les efforts nécessaires pour envoyer un signal fort à nos collaborateurs afin de rassembler les synergies de tous les territoires.
- Tu es sûre que ton langage veut dire quelque chose, Technicare ?
- J’apprends le langage des humains, ô ma fleur des archipels, j’ai fait une synthèse des discours des ministres de l’Education Nationale des deux derniers mandats présidentiels.
- Intéressant... Ecoute, ce Mickey me fait peine, que veux-tu... Je me suis prise d’affection pour lui…
Un observateur attentif pourrait constater qu’Arthénice a légèrement rougi en prononçant ces dernières paroles.
Mais elle chasse son trouble et poursuit :
- Je veux l’aider à rédiger son bilan projet. Mais rien ne se fera s’il ne trouve pas son moteur musical intérieur. C’est pourquoi je lui ai organisé cette petite catabase qui lui fera le plus grand bien. J’ai bien joué la comédie mais il me faut désormais prendre les commandes. Va te reposer en vaquant à tes exaltantes lectures, Technicare. Place à la Grande Initiatrice ! »
L’hologramme d’Arthénice entame un léger mouvement oscillatoire, ses couleurs et ses contours s’estompent jusqu’à disparaître complètement dans une dernière étincelle qui fait un petit « pouf ! » discret et féminin
(E.-E. Schmitt, sors de ce corps). Simultanément, Pianautilus accueille une nouvelle inscription :
« Bonjour les amis, je suis Catherine24 comme les 24 tonalités. J’ai d’étonnantes capacités expressives, c’est pourquoi le piano occupe une place particulière dans mon cœur. Je suis impatiente de partager ma passion avec vous tous, d'échanger des conseils, des astuces et des expériences musicales enrichissantes pour me challenger. À très bientôt pour de belles discussions et de merveilleuses découvertes musicales. »
Une paire de lunette gît sur le sol de l’agence.
***
Michaël ne sait où orienter son pas dans l’étrange espace qui s’offre à lui. La lumière est intense, presque aveuglante. Pourtant, où qu’il porte ses regards, un même voile nimbé dissout les formes, les couleurs et les distances, comme si toute notion de limite avait été abolie. Jamais il n’avait éprouvé une telle sensation d’irréalité. « On dirait bien que je me suis perdu », constate-t-il quand un étonnant phénomène se produit . Huit accords en la mineur émergent du silence ; leurs harmonies douces viennent envelopper son cou et ses épaules comme une écharpe de gaze légère. L’un des deux brins de l’étoffe ondoie dans l’espace infini et déploie une ligne mélodique pure, intime, aux accents presque jazzy. C’est littéralement la musique qui se matérialise et lui trace un chemin céleste en s’emparant son âme.
On ne pouvait rêver meilleur moment pour voir apparaître un fantôme dont les contours dessinent une silhouette aristocratique en costume sombre assise au piano. Une couronne de laurier est posée sur un crâne un peu dégarni. La mélodie n’a pas cessé, captivante et dépouillée, comme si le compositeur avait réussi à capturer l’entièreté de la mélancolie humaine dans une esquisse essentielle et définitive.
« Qui es-tu et que joues-tu, ô vénérable ancêtre ? ose Michaël dans un trémolo, la gorge nouée par l’émotion.
- Je joue
la mazurka op 17 n°4 du compositeur Frédéric Chopin dont on dit que je fus l’interprète idéal « pour avoir laissé parler la musique en rejetant le maniérisme et les excès » selon ma notice Wikipedia. Que veux-tu, jeune mortel, les hommes aiment les fétiches. En réalité, mon seul secret est peut-être d’avoir su oublier qui j’étais quand je jouais. Et beaucoup de travail, évidemment. Tu trouveras mon nom sur les pochettes des nombreux disques que j’ai laissés sur Terre : Arthur Rubinstein. »
Michaël est très impressionné. Il voudrait pousser plus loin l’entretien mais à son grand regret, le hiératique fantôme a déjà disparu.
Chers lecteurs et chères lectrices, les règles de l’art de la descente aux enfers exigent traditionnellement que le courageux héros ait des entretiens avec plusieurs fantômes. C’est pourquoi j’avais prévu une scène supplémentaire entre Mickey et Richard Clayderman, afin d’obtenir un contrepoint intéressant avec la conversation précédente. Mais ce texte commence à devenir beaucoup trop long et je ne souhaite pas me rendre coupable de porter atteinte à la haute tenue de ce fil en exploitant complaisamment les clichés les plus faciles sur les coupes de cheveux de séducteur des années 80 et les pochettes de disque rose Barbie. Sachez seulement que Richard C. est au Tartare, condamné à jouer en boucle dans un caisson étanche les dix premières mesures de la Ballade pour Adeline sur un Clavinova. Pour l’heure, il faut faire avancer l’histoire.
Soudain, une voix tranchante et limpide l’interpelle :
« Qui es-tu, téméraire mortel ? Et que viens-tu chercher en ces lieux sacrés en osant troubler l’éternel repos des trépassés de la musique par tes bavardages inconséquents ?
Décidément, l’expérience est de plus en plus sidérante. Michaël lève les yeux : la nuée céleste s’est assemblée en un visage féminin dont le regard courroucé n’ôte rien à la grâce. Si Michaël était plus attentif, il constaterait que cette figure à l’ovale régulier a tout d’Arthénice, mais sans les lunettes. Au lieu de cela, il se contente de bégayer, trop troublé par l’allure impérieuse de l’apparition :
- Mon… Mon nom est Hérisson… Michaël Hérisson, ô noble gardienne de ce temple sacré, mais au fond j’ignore qui je suis. Mon patron souhaite benchmarker le business model de son agence. Comme je joue du piano, il m’a désigné comme talent proactif pour rédiger un bilan projet novateur sur Chopin et le Tonkin. J’ai pensé demander de l’aide sur Pianautilus, un forum de piano qui réunit toute une communauté de membres des plus serviables et toujours heureux de parler musique. Mais depuis que je me suis connecté il ne se passe que des choses bizarres et incontrôlables, comme si je n’étais plus maître de mon destin ! Je suis désespéré, égaré, j’ai perdu tout mon être, mes repères, ma quiétude, mes régates à Lorient, jusqu’aux bulles de mon aquarium ! Et… oserai-je l’avouer… je suis possédé par la musique d’Abba ! »
Michaël pleure à chaudes larmes. Tandis qu’il parlait, les créatures qui peuplent les enfers ont arrêté leurs activités. Sisyphe s’assoit sur son rocher et s’allume une cigarette, mélancolique ; Tantale, écoeuré par tant d’injustice, n’a plus faim ni soif ; Les Erynies, ces célèbres persécutrices, se lancent dans un flashmob pour plus de bienveillance dans le monde.
Michaël conclut :
« Aide-moi, je t’en supplie, ô Divinité Aérienne de la voûte cosmique du monde souterrain, prends pitié de ma solitude de triste cow-boy désarmé, ô Sagacité Artificielle des alchimies électroniques, ô Grande Architecte tourbillonnant parmi les frissons de brise, aime-moi seulement un peu !
- Quand cesseras-tu de ralentir notre histoire avec ton éloquence boursouflée de
donneur de sérénade ? tance la voix. Ceci dit, tu ne tombes pas trop mal. Je me nomme… euh... Ethnicare ! car je prends soin de tous les peuples. Mais avant, dis-m’en un peu plus sur le pianiste que tu es : as-tu trouvé ton pianiste intérieur ?
- Je n’ai cessé de le chercher, par-delà les terres, par-delà les mers. J’ai écouté l’intégrale de Philippe Glass par Sokolov
(n’importe quoi !) sur mon voilier, j’ai écrit des triples croches pointées sur plusieurs portées, j’ai composé en mode dorien, j’ai cherché la formule éminente de la symbiose entre orient et occident, yin et yang, forces vives de la musique, l’essence de Chopin et duTonkin dans un seul principe, Varsovie, Ho Chi Minh Ville, crevettes épicées et
croque-monsieur alsacien ! J’ai trouvé l’horizon harmonique, la puissance céleste et enveloppante du grand tout, l’
arc-en-ciel tendu comme une bride entre deux continents ! J’ai parlé avec Arthur Clayderman et Richard Rubinstein ! J’ai même découvert le secret de Chopin grâce à un bouquin d’E.-E. Schmitt - une histoire de vent dans les feuilles des arbres mais je ne vous en dis pas plus car je ne sais pas si on a le droit de divulguer le secret à ceux qui n’ont pas lu le roman -J’ai...
- Ca suffit, c’est insupportable ! coupe Ethnicare, n’y tenant plus. Tu es un âne, monsieur Hérisson !
- Hihi très drôle ! ricane Michaël poliment, bien qu’un peu vexé.
- Tu penses continuer longtemps à ennuyer les lecteurs avec ta quête insignifiante et égocentrée ? Et arrête immédiatement tes atermoiements sur ce ridicule bilan projet ! Personne n’y comprend rien de toute façon, tu n’as qu’à demander à ChatGPT de te pondre un de ces trucs insipides dont elle a le secret et ton patron sera très content, tiens, il t’offrira peut-être même un voyage en hydravion dans la baie d’Ha Long avec coucher de soleil et menu gastronomique pour te récompenser ! Maintenant, tu files d’ici fissa, je ne veux plus te voir perdre ton temps dans la matrice à la recherche de faux secrets qui n’existent que dans ton imagination paresseuse de mortel dégénéré. Retourne chez les vivants travailler ton piano. »
Michaël a le souffle coupé et l’orgueil en bouillie. Alors qu’il était à deux doigts d’imprimer sa noble trace dans la prestigieuse lignée des héros revenus vivants de chez les morts, Ethnicare le chasse avec la vulgarité hystérique d’une Perséphone de vaudeville.
Horriblement vexé, il cherche quelque chose à répondre à cette créature terre à terre, un truc bien senti sur la bassesse de son esprit bourgeois, quand il s’avise qu’il tient – Dieu sait comment – un élégant bristol entre son pouce et son index : « Madame Clavinovskaia,
professeure de piano. Métro Oberkampf. »
- Et emporte ce bouquin avec toi, ça te servira !! » vocifère Ethnicare.
Michaël n’a pas le temps d’esquiver le cahier qui le fouette en plein visage et choit lamentablement au sol :
Manuel pratique pour l'étude des clés de Sol, Fa et Ut, par A. Dandelot, peut-on lire sur la couverture un peu froissée.
Drone. Musique d’Abba.
Finally facing my Waterloo !