Re: Lectures
Posté : mercredi 23 févr. 2022 10:20
Comme il n'est jamais trop tard, je découvre le poète Georges Perros, que je n’avais jamais lu, qui fut aussi comédien à la Comédie-Française.
Une vie ordinaire, paru en 1967, se présente comme un roman-poème, une sorte d’autobiographie poétique. C’est une lecture émouvante pour moi car j'y vois de la beauté partout (je n’ai pas encore fini) ! Une vie ordinaire oui, humble et épaisse en même temps, une langue toute simple et dense aussi, donc dérisoire.
Vous me direz, pourquoi cette narration ?
Ah ben c’est juste que page 34 (édition nrf Gallimard), hop tiens un poème sur le piano ! C’est suffisamment inattendu pour que je l’écrive ici. Il aurait d’ailleurs aussi pu trouver sa place dans le fil "Apprendre, enseigner". (Le dernier vers me semble lourd de plein de sens à laisser mûrir.)
Très pauvres encor mes parents
se privèrent pour m’acheter
un piano droit meuble encombrant
notre chambre était si petite
sous prétexte que je fonçais
doigts en avant dès qu’un clavier
se présentait à ma ferveur
Mon père me donnait un sou
quand je remontais bien la gamme
(Et moi je donne maintenant
cours de piano aux jeunes filles
dans la ville où je suis retiré
retiré de quoi de personne
Allons-y du Gai Laboureur
des sonates de Clementi
des exercices dur labeur
Je les traque pour qu’elles passent
leur pouce par-dessous l’index
leur expliquant pour m’excuser
que je n’y croyais pas non plus
à ces chinoiseries tactiles
quand j’étais aussi jeune qu’elles
mais qu’enfin très obéissant
je connais les vertus cachées
de ces chiffres pris dans les doigts)
Plus tard j’eus de graves messieurs
qui me faisaient pleurer tapant
sur les mêmes doigts quand la note
était fausse J’en retirai
le dégoût de l’éducation
par l’autorité Mais depuis
à moi seul me trouve réduit
et ce n’est guère profitable
Etrange ce besoin qu’on a
d’un tiers même s’il ne dit rien
pour nous forcer à faire bien
ce qui seul nous laisse en dérive
Nous avons besoin d’une oreille
pour faire mieux ce que l’on fait
ou d’une intelligence qui
nous demande de passer outre
à la nôtre quand elle croit
se trop suffire à elle-même
et nous n’aimons ce que l’on aime
qu’avec l’assentiment d’autrui
Cela condamne nos amours.
Une vie ordinaire, paru en 1967, se présente comme un roman-poème, une sorte d’autobiographie poétique. C’est une lecture émouvante pour moi car j'y vois de la beauté partout (je n’ai pas encore fini) ! Une vie ordinaire oui, humble et épaisse en même temps, une langue toute simple et dense aussi, donc dérisoire.
Vous me direz, pourquoi cette narration ?
Ah ben c’est juste que page 34 (édition nrf Gallimard), hop tiens un poème sur le piano ! C’est suffisamment inattendu pour que je l’écrive ici. Il aurait d’ailleurs aussi pu trouver sa place dans le fil "Apprendre, enseigner". (Le dernier vers me semble lourd de plein de sens à laisser mûrir.)
Très pauvres encor mes parents
se privèrent pour m’acheter
un piano droit meuble encombrant
notre chambre était si petite
sous prétexte que je fonçais
doigts en avant dès qu’un clavier
se présentait à ma ferveur
Mon père me donnait un sou
quand je remontais bien la gamme
(Et moi je donne maintenant
cours de piano aux jeunes filles
dans la ville où je suis retiré
retiré de quoi de personne
Allons-y du Gai Laboureur
des sonates de Clementi
des exercices dur labeur
Je les traque pour qu’elles passent
leur pouce par-dessous l’index
leur expliquant pour m’excuser
que je n’y croyais pas non plus
à ces chinoiseries tactiles
quand j’étais aussi jeune qu’elles
mais qu’enfin très obéissant
je connais les vertus cachées
de ces chiffres pris dans les doigts)
Plus tard j’eus de graves messieurs
qui me faisaient pleurer tapant
sur les mêmes doigts quand la note
était fausse J’en retirai
le dégoût de l’éducation
par l’autorité Mais depuis
à moi seul me trouve réduit
et ce n’est guère profitable
Etrange ce besoin qu’on a
d’un tiers même s’il ne dit rien
pour nous forcer à faire bien
ce qui seul nous laisse en dérive
Nous avons besoin d’une oreille
pour faire mieux ce que l’on fait
ou d’une intelligence qui
nous demande de passer outre
à la nôtre quand elle croit
se trop suffire à elle-même
et nous n’aimons ce que l’on aime
qu’avec l’assentiment d’autrui
Cela condamne nos amours.