"L'art du chef d'orchestre"
Posté : mercredi 11 sept. 2019 21:35
Bonjour,
Je voulais attendre de finir cet ouvrage avant de vous en parler, mais avec ma lenteur et manque de temps je ne l'ai pas encore fini, tant pis, je vous en parle quand même.
Il y a ce livre, donc (L'art du chef d'orchestre, textes présentés par Georges Liébert, Pluriel Hachette, choix de textes de Berlioz, Wagner, Weingartner, Walter et Munch), mais d'autres choses aussi, je vais essayer de les présenter par ordre chronologique de mes curiosités ces derniers mois.
En fait je suis fascinée par les chefs d'orchestre, depuis l'enfance je crois (ma mère m'emmenait assez souvent au concert ai j'ai beaucoup écouté et vu de la musique symphonique). Pas par tous, mais certains, hommes, femmes (souvenir d'enfance d'une extraordinaire cheffe d'orchestre en Angleterre, ça m'avait bien impressionnée), avec bâton, sans bâton, peu importe. Certains chefs d'orchestre, donc, m'électrisent complètement, je sens que je serais meilleure musicienne conduite par eux, j'ai envie de me glisser dans leur cerveau, dans leur corps, dans leur anticipation complètement habitée, dans leur écoute aussi bien sûr, mais surtout ce qui me fascine c'est cette anticipation. Quand j'étais enfant j'essayais de deviner ce qui allait suivre en regardant le chef d'orchestre, j'essayais de me situer dans l'intervalle entre son geste et ce que j'entendais. Être capable en un seul corps de vivre tous les pupitres, je trouvais ça proprement fantastique.
Bon, puis en reprenant le piano j'ai un peu oublié tout ça, je ne vais plus trop écouter de la musique symphonique (gros inconvénient de la campagne, on a des récitals, de la musique de chambre, mais pas beaucoup de grands ensembles).
Et puis je suis tombée par hasard sur des documentaires sur Ozawa, dont un qui malheureusement n'est plus sur YT mais uniquement dans la chaîne-chère-commerciale-sur-la-musique, qui a réveillé ma fascination d'enfant pour cette figure du chef d'orchestre, mais maintenant avec l'expérience de l'élève pianiste que je suis.
Je me suis dit que le piano étant un instrument polyphonique, difficile, qui nous demande sans cesse de nous démultiplier et de nous réunifier; où il faut tout entendre et en même temps rester dans le flux de la musique; où le confort, le geste, l'expressivité physique ne comptent pas pour rien, finalement nous sommes un peu des mini-chefs d'orchestre, et d'une certaine manière nous devons anticiper et habiter notre musique comme un chef d'orchestre. Les signaux, les mille étincelles expressives hyper précises que quelqu'un comme Ozawa peut lancer autour de lui (mais aussi l'émotion, la nue intériorité), tout cela nous pouvons l'avoir en jouant, l'adresser à nous mêmes de manière imperceptible, et nous en servir peut-être, ou pas, suivant les personnes, pour façonner la matière sonore et émotionnelle de ce que nous faisons. Je médite à ce genre de choses depuis quelque temps.
Du coup, un jour je suis tombé sur ce livre, je l'ai acheté et je le lis avec grand intérêt.
La présentation est historique et générale, très bien faite et instructive. Viennent ensuite les extraits des auteurs que j'ai nommés en haut de ce fil. J'en suis encore aux textes de Berlioz, très drôles et intéressants (quelle personnalité incroyable, belle plume par ailleurs). C'est l'époque des grands musiciens-entrepreneurs, meneurs de grands projets, émancipés du prince et du mécénat et donc à la fois plus libres et assez embarrassés par les contraintes économiques. Les orchestres de son temps étaient visiblement assez indisciplinés!
Je commenterai la suite quand je l'aurai lue; en tout cas, ce qui m'apparaît d'emblée (j'ai eu la même sensation en regardant des documentaires sur Bernstein, ou en lisant Harnoncourt), c'est que ces chefs qui finalement exécutent leur art sans beaucoup de mots, par une transmission essentiellement faite de gestes, d'énergie, de contacts visuels, de présence physique, parfois d'onomatopées, sont en même temps de grands penseurs de leur art; mais comme la transmission n'est pas univoque, et qu'en partie elle est non pas improvisée mais adaptative, recréée, puisqu'elle se déroule quand même dans le temps et dans l'interaction avec la matière vivante qu'est un orchestre et le son qu'il produit dans un lieu déterminé, il s'agit d'une pensée toujours en mouvement, pas du tout figée, et pleine d'humanité.
Dans le documentaire sur Ozawa, il y a un passage assez fort; il donne des cours de direction. Il explique un tas de choses, très intéressantes, l'élève est un peu sonné; puis Ozawa ajoute en aparté pour lui-même et pour la caméra, ces choses là, quand je les fais, je ne sais pas que je les fais, je ne sais pas comment je les fais. C'est en expliquant, en enseignant, que je prends conscience de ce qui se fait d'une certaine manière à travers moi. Mais l'essentiel, on ne sait pas d'où cela nous vient.
C'est très proche de ce qui arrive quand on joue en état de grâce!
Ce qui me bouleverse c'est cette mixture de savoir, d'émotion, de magie, de mémoire, le tout exprimé par un corps.
(j'imagine , mais ce n'est pas mon propos ni ce qui m'intéresse ici, qu'il y a aussi des chefs d'orchestre manipulateurs, tyranniques, à l'ego surdimensionné etc. etc. Je sais aussi que certaines formations travaillent sans chef d'orchestre. Il y a sans doute plein de sujets intéressants à créer sur ce thème!)
Je voulais attendre de finir cet ouvrage avant de vous en parler, mais avec ma lenteur et manque de temps je ne l'ai pas encore fini, tant pis, je vous en parle quand même.
Il y a ce livre, donc (L'art du chef d'orchestre, textes présentés par Georges Liébert, Pluriel Hachette, choix de textes de Berlioz, Wagner, Weingartner, Walter et Munch), mais d'autres choses aussi, je vais essayer de les présenter par ordre chronologique de mes curiosités ces derniers mois.
En fait je suis fascinée par les chefs d'orchestre, depuis l'enfance je crois (ma mère m'emmenait assez souvent au concert ai j'ai beaucoup écouté et vu de la musique symphonique). Pas par tous, mais certains, hommes, femmes (souvenir d'enfance d'une extraordinaire cheffe d'orchestre en Angleterre, ça m'avait bien impressionnée), avec bâton, sans bâton, peu importe. Certains chefs d'orchestre, donc, m'électrisent complètement, je sens que je serais meilleure musicienne conduite par eux, j'ai envie de me glisser dans leur cerveau, dans leur corps, dans leur anticipation complètement habitée, dans leur écoute aussi bien sûr, mais surtout ce qui me fascine c'est cette anticipation. Quand j'étais enfant j'essayais de deviner ce qui allait suivre en regardant le chef d'orchestre, j'essayais de me situer dans l'intervalle entre son geste et ce que j'entendais. Être capable en un seul corps de vivre tous les pupitres, je trouvais ça proprement fantastique.
Bon, puis en reprenant le piano j'ai un peu oublié tout ça, je ne vais plus trop écouter de la musique symphonique (gros inconvénient de la campagne, on a des récitals, de la musique de chambre, mais pas beaucoup de grands ensembles).
Et puis je suis tombée par hasard sur des documentaires sur Ozawa, dont un qui malheureusement n'est plus sur YT mais uniquement dans la chaîne-chère-commerciale-sur-la-musique, qui a réveillé ma fascination d'enfant pour cette figure du chef d'orchestre, mais maintenant avec l'expérience de l'élève pianiste que je suis.
Je me suis dit que le piano étant un instrument polyphonique, difficile, qui nous demande sans cesse de nous démultiplier et de nous réunifier; où il faut tout entendre et en même temps rester dans le flux de la musique; où le confort, le geste, l'expressivité physique ne comptent pas pour rien, finalement nous sommes un peu des mini-chefs d'orchestre, et d'une certaine manière nous devons anticiper et habiter notre musique comme un chef d'orchestre. Les signaux, les mille étincelles expressives hyper précises que quelqu'un comme Ozawa peut lancer autour de lui (mais aussi l'émotion, la nue intériorité), tout cela nous pouvons l'avoir en jouant, l'adresser à nous mêmes de manière imperceptible, et nous en servir peut-être, ou pas, suivant les personnes, pour façonner la matière sonore et émotionnelle de ce que nous faisons. Je médite à ce genre de choses depuis quelque temps.
Du coup, un jour je suis tombé sur ce livre, je l'ai acheté et je le lis avec grand intérêt.
La présentation est historique et générale, très bien faite et instructive. Viennent ensuite les extraits des auteurs que j'ai nommés en haut de ce fil. J'en suis encore aux textes de Berlioz, très drôles et intéressants (quelle personnalité incroyable, belle plume par ailleurs). C'est l'époque des grands musiciens-entrepreneurs, meneurs de grands projets, émancipés du prince et du mécénat et donc à la fois plus libres et assez embarrassés par les contraintes économiques. Les orchestres de son temps étaient visiblement assez indisciplinés!
Je commenterai la suite quand je l'aurai lue; en tout cas, ce qui m'apparaît d'emblée (j'ai eu la même sensation en regardant des documentaires sur Bernstein, ou en lisant Harnoncourt), c'est que ces chefs qui finalement exécutent leur art sans beaucoup de mots, par une transmission essentiellement faite de gestes, d'énergie, de contacts visuels, de présence physique, parfois d'onomatopées, sont en même temps de grands penseurs de leur art; mais comme la transmission n'est pas univoque, et qu'en partie elle est non pas improvisée mais adaptative, recréée, puisqu'elle se déroule quand même dans le temps et dans l'interaction avec la matière vivante qu'est un orchestre et le son qu'il produit dans un lieu déterminé, il s'agit d'une pensée toujours en mouvement, pas du tout figée, et pleine d'humanité.
Dans le documentaire sur Ozawa, il y a un passage assez fort; il donne des cours de direction. Il explique un tas de choses, très intéressantes, l'élève est un peu sonné; puis Ozawa ajoute en aparté pour lui-même et pour la caméra, ces choses là, quand je les fais, je ne sais pas que je les fais, je ne sais pas comment je les fais. C'est en expliquant, en enseignant, que je prends conscience de ce qui se fait d'une certaine manière à travers moi. Mais l'essentiel, on ne sait pas d'où cela nous vient.
C'est très proche de ce qui arrive quand on joue en état de grâce!
Ce qui me bouleverse c'est cette mixture de savoir, d'émotion, de magie, de mémoire, le tout exprimé par un corps.
(j'imagine , mais ce n'est pas mon propos ni ce qui m'intéresse ici, qu'il y a aussi des chefs d'orchestre manipulateurs, tyranniques, à l'ego surdimensionné etc. etc. Je sais aussi que certaines formations travaillent sans chef d'orchestre. Il y a sans doute plein de sujets intéressants à créer sur ce thème!)