La surprise
Posté : lundi 21 nov. 2022 18:49
La surprise.
J'avais 10 ans et je pédalais cheveux au vent dans la campagne normande. Partie de notre petite maison des champs tout près de la plage, je me rendais au village à travers les chemins creux. Là, il y avait l'épicerie où maman m'envoyait parfois faire une course mais il y avait surtout le couvent dont la bibliothèque était ouverte à tous et où l'on pouvait se servir librement . Deux fois par semaine j'allais donc chez les sœurs refaire ma provision de lecture.
J'aimais filer comme le vent sur mon vieux vélo rouge et tant pis si je me griffais les mollets aux ronces dans les passages étroits ! Il y avait le petit âne qui cabriolait dans son pré et plus loin la jument alezane avec sa jolie pouliche que j'essayais d'apprivoiser . Au détour d'un virage j'apercevais la mer et ses longs rouleaux blancs, cette côte dont je connaissais chaque crique et chaque rocher.
C'était les grandes vacances, il y avait le soleil, la brise légère venue de la mer, le parfum de la camomille et des roses sauvages et puis toute cette musique joyeuse qui claironnait dans ma tête.
Heureuse de cette parfaite liberté que m'octroyaient les vacances je chantais à pleine voix.
Mi sol, mi ré, fa la, fa mi, sol si si siii, sol la, fa sol, mi soool, fa !!
Comme je l'aimais cet air ! Si gai, si entraînant ! Comme il s'accordait bien à mes coups de pédale ! Et puis il y avait les variations, toutes ces variations que j'avais mémorisées et qui me réjouissaient tant. Que c'était bon de chanter ainsi à tue-tête en filant dans la campagne....
Hier soir nous étions dans cette belle salle de concert. Le maître était au piano et l'assistance retenait son souffle. Après une première partie consacrée à la musique baroque anglaise, les notes d'un nouveau morceau s'élevèrent. Je l'avoue, je n'avais pas regardé le programme. Après tant d'années à le suivre, je vais à ses concerts en toute confiance, les yeux fermés, ravie de me laisser surprendre par les merveilles que le maestro nous aura préparées. Je savais qu'il y aurait Beethoven mais je ne reconnaissais pas ce morceau qui n'était visiblement pas une sonate. Et puis soudain j'ai ressenti une petite décharge, comme une étincelle... mais oui ! je devinais ce qui allait venir, je le sentais, je le savais.... ce thème si joyeux qui résonnait déjà en moi avant même de chanter sous les doigts du pianiste. Oh, que j'étais contente ! Je me suis redressée sur mon fauteuil, les yeux brillants et très vite la mélodie aimée a retenti : mi sol, mi ré, fa la, fa mi .... et soudain une brise chargée d'effluves marines m'a semblé chatouiller mes narines, le soleil s'est mis à briller, je pédalais gaiement sur mon vélo rouge et la musique m'emportait telle une vague.
Soudain, oh bonheur, je n'étais plus une dame d'âge respectable dans une salle de concert bordelaise, j'avais 10 ans de nouveau et toute ma vie devant moi !
Merci donc monsieur Beethoven pour vos merveilleuses Variations Eroica, merci surtout cher monsieur Sokolov pour cette belle surprise qui l'espace d'un instant m'a rendu mon enfance ...
J'avais 10 ans et je pédalais cheveux au vent dans la campagne normande. Partie de notre petite maison des champs tout près de la plage, je me rendais au village à travers les chemins creux. Là, il y avait l'épicerie où maman m'envoyait parfois faire une course mais il y avait surtout le couvent dont la bibliothèque était ouverte à tous et où l'on pouvait se servir librement . Deux fois par semaine j'allais donc chez les sœurs refaire ma provision de lecture.
J'aimais filer comme le vent sur mon vieux vélo rouge et tant pis si je me griffais les mollets aux ronces dans les passages étroits ! Il y avait le petit âne qui cabriolait dans son pré et plus loin la jument alezane avec sa jolie pouliche que j'essayais d'apprivoiser . Au détour d'un virage j'apercevais la mer et ses longs rouleaux blancs, cette côte dont je connaissais chaque crique et chaque rocher.
C'était les grandes vacances, il y avait le soleil, la brise légère venue de la mer, le parfum de la camomille et des roses sauvages et puis toute cette musique joyeuse qui claironnait dans ma tête.
Heureuse de cette parfaite liberté que m'octroyaient les vacances je chantais à pleine voix.
Mi sol, mi ré, fa la, fa mi, sol si si siii, sol la, fa sol, mi soool, fa !!
Comme je l'aimais cet air ! Si gai, si entraînant ! Comme il s'accordait bien à mes coups de pédale ! Et puis il y avait les variations, toutes ces variations que j'avais mémorisées et qui me réjouissaient tant. Que c'était bon de chanter ainsi à tue-tête en filant dans la campagne....
Hier soir nous étions dans cette belle salle de concert. Le maître était au piano et l'assistance retenait son souffle. Après une première partie consacrée à la musique baroque anglaise, les notes d'un nouveau morceau s'élevèrent. Je l'avoue, je n'avais pas regardé le programme. Après tant d'années à le suivre, je vais à ses concerts en toute confiance, les yeux fermés, ravie de me laisser surprendre par les merveilles que le maestro nous aura préparées. Je savais qu'il y aurait Beethoven mais je ne reconnaissais pas ce morceau qui n'était visiblement pas une sonate. Et puis soudain j'ai ressenti une petite décharge, comme une étincelle... mais oui ! je devinais ce qui allait venir, je le sentais, je le savais.... ce thème si joyeux qui résonnait déjà en moi avant même de chanter sous les doigts du pianiste. Oh, que j'étais contente ! Je me suis redressée sur mon fauteuil, les yeux brillants et très vite la mélodie aimée a retenti : mi sol, mi ré, fa la, fa mi .... et soudain une brise chargée d'effluves marines m'a semblé chatouiller mes narines, le soleil s'est mis à briller, je pédalais gaiement sur mon vélo rouge et la musique m'emportait telle une vague.
Soudain, oh bonheur, je n'étais plus une dame d'âge respectable dans une salle de concert bordelaise, j'avais 10 ans de nouveau et toute ma vie devant moi !
Merci donc monsieur Beethoven pour vos merveilleuses Variations Eroica, merci surtout cher monsieur Sokolov pour cette belle surprise qui l'espace d'un instant m'a rendu mon enfance ...