Merci Claudia, Laure, Alain et Vincent. Je viens de lire avec beaucoup d'intérêt vos interventions.
Claudia a écrit : ↑dimanche 21 avr. 2024 13:16
Je pense aussi qu'il y a bien un moment où il faut en passer par l'étude! C'est-à-dire, si choc, intérêt, attrait il y a, pour cette musique comme pour toute autre, il faut bien faire l'effort d'acquérir son vocabulaire, sa grammaire, les formes de son éloquence particulière.
C'est ça que je ne comprends pas. Pourquoi est-ce nécessaire ? Est-ce que mon émotion sera différente si je sais que Bach, à la nième mesure de sa pième fugue module en ré mineur ? Parce que si dans une autre œuvre je retrouve cette même modulation, il n'est pas sûr que mon ressenti soit le même…
Claudia a écrit : ↑dimanche 21 avr. 2024 13:16
(…la structure n'est pas complètement étrangère, ça reste une sonate).
Pas si sûre, voici ce que Boulez lui-même écrivait à propos de sa 2ème sonate (pardon, c'est en Anglais):
"I tried to destroy the first-movement sonata form, to disintegrate slow movement form by the use of the trope, and repetitive scherzo form by the use of variation form, and finally, in the fourth movement, to demolish fugal and canonic form. Perhaps I am using too many negative terms, but the Second Sonata does have this explosive, disintegrating and dispersive character, and in spite of it own very restricting form the destruction of all these classical moulds was quite deliberate"
Boulez, Pierre. 1976. Conversations with Célestin Deliège. Ernst Eulenburg. London.
Vincent a écrit : ↑dimanche 21 avr. 2024 11:58
Je ne vois pas cela du tout ainsi. Il n'y a rien d'insoluble, puisqu'il n'y pas de problème - et donc pas solution à rechercher. D'un côté il y a ceux qui aiment, de l'autre ceux qui n'aiment pas. (Et peut-être au milieu quelques-uns que ça ne laisse pas indifférents.) Mais il n'y a rien qui obligerait à devoir les réconcilier ou à les faire converger. C'est un état de fait, c'est ainsi, point final. Je fais partie clairement de la 1ere catégorie dans ta typologie, mais je ne crie nullement "au secours, aidez-moi à comprendre !". Mon désamour de cette musique ne provoque pas d'états d'âme particuliers chez moi, je suis très à l'aise avec ça et n'ai nul besoin de chercher à comprendre.
Tout à fait. Pour moi, une émotion "esthétique" n'a pas besoin d'explication. On la ressent, ou pas, et s'il faut une explication pour la ressentir, c'est déjà biaisé… Vous avez tous pu voir mon "avatar" : c'est une (toute petite, hélas) reproduction du tableau de Van Gogh "Vol de corbeaux sur un champ de blé". Si j'ai choisi ce tableau, c'est pour me souvenir que c'est devant lui que j'ai ressenti, à 13 ans, ma première émotion picturale, lors d'une exposition consacrée au peintre. La toile était accrochée face à l'entrée du musée et elle m'a happée dès mon arrivée. Je me suis perdue dans cette toile et j'aurais pu m'y oublier devant pendant des heures… Plus tard, j'ai lu une explication ampoulée et très pédante de cette toile qui m'a bien fait rire : en gros, c'était "oui, Van Gogh a peint sur cette toile trois chemins, c'est la preuve qu'il était désemparé, il ne savais pas quel chemin prendre; d'ailleurs, il était tellement désemparé que tout de suite après avoir terminé le tableau, il s'est tiré une balle dans la tête (ce qui est faux !)". Auriez-vous ressenti une émotion quelconque après la lecture d'une telle explication ?
Vincent a écrit : ↑dimanche 21 avr. 2024 11:58
D'où ma grande irritation quand on cherche à théoriser ma rétivité à Boulez (et à d'autres). Pourquoi tout vouloir expliquer, décortiquer, analyser ? Ne pouvons dire simplement j'aime/j'aime pas, accepter comme tels les avis divergents et n'encourir ni sermon ni tentatives de conversion - et réciproquement sans être soi-même tenté de se faire prosélyte de ses propres perceptions ?
J'agrée entièrement. Pour moi, ce n'est même plus une grande irritation, mais un rejet viscéral de tout ce qui ressemble de près ou de loin au "prêt à penser". Peut-être, une déformation professionnelle, la première chose que l'on apprenait dans mon métier, avec l'humilité, étant de penser par soi-même.